The Great Haenel

Dans Tiens ferme ta couronne, dernier Prix Médicis, Yannick Haenel lance son héros à la poursuite d'une obsession qui le projettera dans mille aventures : celle de faire réaliser un film sur Herman Melville au cinéaste américain Michael Cimino. Tout un programme, confié à Bron, à la lecture experte du comédien Denis Lavant.


C'est l'histoire d'un écrivain "fou". Et d'un projet qui ne l'est pas moins : un film sur l'auteur de Moby Dick, Herman Melville, baptisé The Great Melville. Il en a écrit le script, une baleine scénaristique de 700 pages à la recherche d'une énigme : « la solitude de l'écrivain », « l'immensité qui peuple sa tête » et qui est un monde, « la population de ses pensées », toutes choses qui se résument à une analogie avec le cachalot traqué par le Capitaine Achab : c'est « l'intérieur mystiquement alvéolé de la tête Melville » qu'il s'agit de percer à jour.

Loin du biopic traditionnel, inutile de dire que le projet n'intéresse guère les producteurs. Ce qui n'est pas si grave puisque l'auteur ne veut pour son scénario que le plus grand,  Michael Cimino : « parce que Cimino incarnait dans le cinéma américain ce que Melville avait incarné dans la littérature. » L'épiphanie à lieu lorsque le narrateur, qui passe le plus clair de son temps à picoler et regarder des films, revoit son Voyage au bout de l'Enfer.

Monstres sacrés

Jaillit alors, à la vision de cette scène de chasse où Robert de Niro épargne un daim, une phrase de Melville : « en ce monde de mensonges, la vérité était forcée de fuir dans les bois comme un daim blanc effarouché ». Or pour le narrateur, le daim témoigne justement d'une « vérité cachée dans les bois, de quelque chose qui déborde la criminalité du monde et en un sens lui tient tête ». Tiens ferme ta couronne est la quête de cette vérité par un homme en rupture.

Un livre sur la solitude qui compte de sublimes pages d'exégèses et d'analogies artistico-ontologiques, dont Yannick Haenel fait pourtant une comédie truculente. Le héros y rencontre bel et bien Cimino à New York – scène surréaliste – ; disserte longuement sur l'Apocalypse Now de Coppola, autre obsession ; dîne avec Isabelle Huppert ; parcourt Paris à la recherche du dalmatien de son inquiétant voisin dont il est la nounou (le dalmatien, pas le voisin) ; tente d'échapper à deux olibrius droit sortis d'un album de Tintin ; arpente de nuit le musée de la Chasse et trouve ailleurs sa vérité.

Autant de choses a priori impossibles mais, écrit Haenel : « un écrivain est quelqu'un à qui il arrive quelque chose qui n'a lieu que sur le plan de l'impossible (…) parce que sa solitude (c'est-à-dire son expérience avec la parole) est telle que ce genre de chose inconcevable peut avoir lieu ». Y compris, quelle que soit leur forme, baleine, daim, cinéaste, la poursuite de monstres sacrés.

Tiens ferme ta couronne (Gallimard)
Lecture / Conversation avec Denis Lavant et Yannick Haenel
Au Magic Mirror le dimanche 11 mars à 17h


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