Adel Abdessemed : « mon art est un art de la responsabilité »

L'artiste franco-algérien vient de fêter ses 47 ans. Celui que l'on appelait l'enfant terrible de l'art contemporain ne décolère pas. Et pour cause : la violence qui embrase le monde s'agite toujours, avec autant de férocité. Une violence qu'il regarde en face, droit dans les yeux, n'en déplaise à certains.


Adel Abdessemed se clame homme libre dès l'adolescence. Amazigh, en langue berbère. Il se rapproche très vite d'artistes locaux et intègre l'École des Beaux-Arts d'Alger, au moment où le pays entre dans une décennie noire traumatisée par le terrorisme. Cette institution qualifiée par les intégristes  «  d'école du pêché » parce qu'ouverte sur le monde, subira un événement terrible en mars 1994 : son directeur Ahmed Asselah, défenseur de la démocratie et opposant à l'intégrisme, est assassiné avec son fils, dans l'enceinte même de l'école. Sous la menace, Adel choisit de gagner sa liberté au prix de l'exil. La violence s'immisce alors dans le corps de son œuvre. 

Résister pour mieux œuvrer

Lyon et plus particulièrement son École des Beaux-Arts accueille le jeune artiste, qui se fera remarquer rapidement de par sa pratique et son culot. Il se souvient de ses années d'études durant lesquelles « j'ai donné autant que j'ai reçu » et où il a rencontré Julie, sa future épouse et mère de ses cinq enfants, « un soir dans un pub du Vieux-Lyon, l'Antidote, autour d'un verre de Guinness. » Un infime acte de résistance pour un homme qui n'a jamais cessé de dénoncer les privations de liberté. « Je viens d'un pays où l'espoir a été assassiné. La liberté c'est ma substance, mon moteur » nous confie-t-il. 

Contester, être libre, c'est aussi lire, regarder, écouter, débattre. L'artiste jouit de ce que la France a à lui offrir : sa culture et ses idées. Il cite volontiers Deleuze, Foucault, Truffaut, Genet. Des références qui le poussent à voir la réalité autrement et influencent profondément son travail. Mais ce qui l'anime particulièrement, c'est la violence et son imagerie. De Biennales en musées et galeries, partout où l'homme passe, il déstabilise et transforme le regard de ses contemporains : «  je suis un artiste citoyen, c'est une forme de responsabilité, mon art est un art de la responsabilité. » 

Catharsis 

Qu'il s'agisse du coup de tête de Zidane à Materazzi (Coup de tête censuré à Doha), d'une sculpture de deux mètres représentant Angela Merkel jeune pratiquant le naturisme (Is Beautiful à voir au MAC), des Christ corsetés avec des fils barbelés (Décor) ou de la jeune vietnamienne Kim Phuc immortalisée en ivoire (Cri), la résurgence d'images sur-médiatisées se concentre au cœur de son œuvre. Ce sont autant de messages qui alertent : « on a beaucoup gagné avec la laïcité et la démocratie, mais on peut considérer que ce qu'on a gagné est menacé aujourd'hui. » 

Adel Abdessemed engendre des œuvres cathartiques qui sont autant d'exutoires à ses révoltes intimes. Il montre une vérité nue, bien que pénible à regarder, elle semble nécessaire dès lors que ses expositions connaissent toutes de grands succès. Un succès que l'on pourrait expliquer par notre besoin de voyeurisme dont l'immédiateté est une sangsue. Mais, au-delà de cette appétence, l'effet purificatoire semble être collectif puisque les révoltes humanistes de l'artiste sont aussi les nôtres.

Abdel Abdessemed, L'Antidote
Au Musée d'Art Contemporain ​jusqu'au 9 juillet 


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