À cœurs et à cris

Avec l'exposition L'Antidote, Adel Abdessemed signe son grand retour dans un bel engouement teinté de controverse.


Thierry Raspail lui donna rendez-vous dans dix ans lorsqu'en 2008, Adel Abdessemed exposa au Magasin de Grenoble. Le directeur du MAC, aujourd'hui en fin de mandat, voit enfin cette exposition installée aux 2e et 3e étages du musée, la qualifiant «  d'ode à la condition humaine. » Un hymne qui forme un corps, une totalité organique libérée de toute torpeur, de toute bienséance avec comme point de départ une flèche qui transperce le corps de l'artiste : « c'est la violence du monde qui me lance cette flèche » nous dit-il. 

Pas d'exposition sans polémique

Au second étage, des vidéos rythment la visite, des boucles emplies de bruits qui tapent, cognent l'oreille et le cœur. Et qui les transpercent à la vue de Printemps, qui montre des coqs pendus par les pattes contre un mur, en train de brûler vifs. Une vidéo exposée à Doha et qui suscita l'indignation obligeant le Mathaf, Arab Museum of Modern Art, et aujourd'hui le MAC, à expliquer le geste de l'artiste et ses conditions de production. Dans un communiqué de presse datant du lundi 12 mars, le musée explique :


« Cette œuvre vidéo a été réalisée au Maroc avec une équipe de techniciens créateurs d'effets spéciaux pour le cinéma [...] les poulets de Printemps n'ont été soumis à cet effet de flammes que pendant 3 secondes et sous le contrôle stricte des techniciens. » 

L'artiste a déjà testé cette technique sur lui-même lors de son exposition Je suis innocent au Centre Pompidou en 2005. Il est vrai que la vidéo demeure déconcertante, cependant ne nous indignons pas trop rapidement puisqu'il s'agit d'effets spéciaux et que justement, l'auteur de la vidéo souhaite alerter sur les violences faites envers les animaux notamment dans les abattoirs, lieux qui préparent la viande que nous consommons tous les jours. Les réseaux sociaux semblent se tromper de cible en désignant immédiatemment l'artiste coupable.

Une captation de la vidéo prise par un visiteur a été publiée le week-end dernier sur les réseaux sociaux suscitant l'indignation et plus de 400 000 vues. Exposer Adel Abdessemed, c'est s'attendre à s'attirer quelques foudres. Un médiateur du musée nous confie : « on s'attend à de vives réactions, mais l'artiste est prêt à placer des rideaux devant l'entrée de la salle. » Printemps, au-delà de la polémique, nous ramène péniblement à Mohamed Bouazzi, ce Tunisien qui s'est immolé en décembre 2010, un acte qui engendra la révolution tunisienne et le printemps arabe

Quand on demande à Adel Abdessemed s'il redoute la censure dont il a été l'objet à plusieurs reprises, il répond : « Heureusement il y a des lieux qui sont courageux pour nous défendre et montrer notre travail. Aujourd'hui le drame arrive par les réseaux sociaux, ils sont comme des fatwas, des condamnations souterraines jamais face à face, par des gens qui ne savent souvent pas de quoi ils parlent. » Voilà une parole annonciatrice de la polémique qui enfle sur les réseaux sociaux depuis vendredi, jour du lancement de l'exposition !

Violence sans filtre  

«  Dans mon art, je suis comme un passeur. Je raconte des choses, pas comme un conteur, ce sont plutôt des actes. J'ai voulu montrer que l'art est quelque chose d'obscur, autant que la nature », une nature humaine qui laisse peu de place à la légèreté. Même les lieux d'apaisement comme le bar L'Antidote qu'il a reproduit avec des chaises qui volent poétiquement nous évoquent les attentats de novembre 2015.

Au dernier étage, loge l'œuvre la plus spectaculaire de L'Antidote, elle prend tout l'espace avec sa trentaine de tonnes d'argile crue. «  Shams (NdlR : le soleil en arabe) est le fil conducteur de cette exposition », une représentation du travail forcé, montrée également à Doha quelques jours après que le Guardian ait dévoilé un article sur les conditions inhumaines des ouvriers travaillant sur les chantiers des stades de la Coupe du Monde 2022. Coïncidence ? Sans doute pas.

L'artiste, toujours en prise avec la réalité, donne à voir ce que l'on nous cache ou que l'on ne souhaiterait pas voir et il le fait sans ces filtres qui gomment les défauts et révèlent le monde sous son meilleur jour.  

Adel Abdessemed, L'Antidote
Au Musée d'Art Contemporain ​jusqu'au 9 juillet 


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