Bienvenue chez nous


La répétition, l'anaphore comme mantra, comme psalmodie, voilà comment Géraldine Kosiak, auteure et dessinatrice croix-roussienne passée par les Beaux-Arts, rend compte du monde, voilà sa façon d'être à la littérature. Une façon qui allie aussi depuis toujours les mots et le dessin.

Et même si dans Chez Nous, son dernier livre, les illustrations – au croisement d'Edward Gorey, Glen Baxter et Gustave Doré – sont moins présentes, comme dans Mon Grand-père, comme dans J'ai peur, comme dans Avec l'âge, Géraldine Kosiak y reproduit cette formule bien à elle consistant à commencer tout paragraphe par les mêmes mots, « chez nous », manière de circonscrire son sujet et de ne pas le lâcher, d'y accrocher la pensée et la mémoire – un geste pérécquien en mode Je me souviens, autour duquel l'auteure convoque aussi les figures de Saul Bellow, Borges, Thomas Bernhard, Proust.

Par ces mots, l'auteure dévoile le tableau et les manières d'une famille d'origine polonaise, la sienne – un sujet récurrent de son œuvre, puisqu'elle rend aussi hommage à son frère dans Jour de pêche –, mais qui pourrait être n'importe quelle famille française de la deuxième moitié du XXe siècle : un grand-père mineur, un autre Résistant, un quotidien banal mais sans prix, des habitudes, des sujets, des tabous, une maison en face du Cora dans une province indéterminée qui se transforme au gré de la dévoration du paysage par les zones commerciales.

Car ce « chez nous », ce sont les souvenirs qui remontent, qui affleurent, qui, à l'âge adulte, se gonflent d'une importance jusque-là insoupçonnée, mais c'est aussi la cartographie d'un monde qui s'efface, un siècle qui s'éteint. Un « chez soi » qui échappe à chacun et qu'il faut consigner. Géraldine Kosiak reconstitue le puzzle de ce monde voué à l'oubli et à la transformation, pour qu'il ne devienne pas, comme certains sujets familiaux, un non-dit de plus.

Géraldine Kosiak, Chez nous (Grasset / Le Courage)
À la Librairie Vivement Dimanche le mercredi 28 mars


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