Cascadeur : l'homme au masque de fer

L'une des têtes d'affiche du Petit Bulletin festival s'avancera casquée, comme elle le fait depuis ses ses débuts, cultivant, sous le nom de Cascadeur, un mystère pop grandissant d'album en album. Confirmation sur le dernier en date, "Caméra", tout en voltiges mélodiques et atmosphères anxiogènes. Et sur la scène du Petit Bulletin Festival pour un show inédit.


The Human Octopus était l'album de tes premières compositions, Ghost Surfer celui de l'ouverture avec beaucoup de belles collaborations. Comment qualifierais-tu Caméra par rapport à la manière dont tu as évolué, dont ta carrière a évolué ?

Cascadeur : Je le vois comme une synthèse. Après le grand casting du deuxième album, j'ai aussi voulu retrouver ce qui faisait l'essence de Cascadeur : l'exploration de l'individu mais en endossant moi-même les différents rôles comme un cascadeur doit doubler différents acteurs pour différentes séquences. Je voulais qu'on sente le temps passé et qu'on sente que je me libérais peut-être de certaines choses. Travailler aussi sur ce qui pouvait m'apparaître comme des idées préconçues autour de Cascadeur : ce côté délicat qui pouvait manquer d'aspect physique ou nerveux alors que je fais une musique assez tendue. Là je trouve que sur scène et sur Caméra, j'atteins de plus en plus à cette tension qui rejoint des préoccupations un peu urgentes.

Justement, il y a quelque chose de beaucoup plus puissant sur cet album que sur les précédents... Quelles sont les préoccupations que tu évoquais.

Etant continuellement entouré de machines et d'écrans dans mon studio, je voulais aussi interroger l'interpénétration entre l'humain et la machine. Que devient l'humain ? La machine prend-elle le pas ? On rejoint là des thèmes SF ou de films des années 70 qui ont pu m'inspirer, autour notamment de la paranoïa, de la surveillance, qui sont aussi d'actualité, parce qu'on vit dans une société d'espionnage. Il y a une violence contemporaine qui est celle de la société dans laquelle on vit et qui demande de la protection parce qu'elle se sent hyper menacée. Cascadeur doit affronter ça aussi et je voulais qu'on le ressente sur cet album qui est du coup plus urbain. Je voulais donc que le son soit plus dur, qu'il y ait des parasites, des accidents, des failles, que ça dérape. On n'est pas tout le temps dans cette agression, mais par moment je voulais qu'on se sente presque mal. Oppressé.

Où en est-tu aujourd'hui avec cette timidité qui t'as conduit à te cacher ? Est-ce encore un facteur important de ton expression ?

Plus que de la timidité, je crois que c'est mon émotivité qui m'a conduit à me masquer pour exister, oser chanter ces morceaux qui me faisaient un peu craquer – il y a des morceaux qui aujourd'hui encore me touchent terriblement. C'est par ce biais que j'ai pu affronter les choses. Aujourd'hui, c'est vrai que j'ai plus d'expériences mais en même temps l'expérience creuse les choses. Le fait d'être masqué et casqué me fait percevoir les choses autrement. Je parlais d'oppression, peut-être que je la sens d'autant plus que, casqué, je suis comme un cosmonaute enfermé dans une sorte de sphère qui, même visuellement, m'affecte. C'est une expérience presque psychédélique sans recours à des substances.

Tu disais à l'époque du second album qu'avec ce casque tu devenais infirme, que tu te blessais même, pour atteindre un au-delà. Ce sont des termes très forts...

C'est très curieux mais, comme c'est quelque chose de très contraignant, il y a une sorte de rapport pas sadomasochiste mais en tout cas lié à la discipline. Je pense par exemple à la danse : ce qui est marquant chez les danseurs c'est une forme de rapport assumé à la douleur pour atteindre un plaisir. Ça ne m'attire pas spécialement, je ne fonctionne pas comme ça mais je comprends cette idée de la transcendance par la contrainte. Effectivement, le port du casque, ça me fait mal aux cervicales, à la tête, c'est éprouvant, compliqué, mais ça me permet une autre forme de liberté. Cette contrainte liée au personnage me permet de vivre plus intensément les choses. C'est ma discipline : comme une danseuse doit porter ses pointes, je dois passer par cette contrainte pour explorer au mieux mes limites. Je pense que c'est lié aussi à mon apprentissage de la musique classique et à ma pratique du sport. Cascadeur c'est comme un mini-athlète : il faut que je sois en forme et pourtant je suis comme un scaphandrier. J'ai les semelles plombés mais sans elles je remonterais à la surface et je ne pourrais pas accéder à toutes les zones que j'explore.

Cascadeur + Sage + Nakhane
Aux Subsistances le vendredi 28 avril


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