Protomartyr de la cause

Dans une ville où le rock a toujours sonné différemment du reste de l'Amérique, Protomartyr fouille à grands coups de post-punk fracassant les décombres d'un Détroit économiquement rétamé. Et questionne, non sans émotion, la chute de l'Amérique toute entière dans les bras de Trump.


Dans le documentaire de Jim Jarmusch Gimme Danger, Iggy Pop rappelait combien le son des Stooges avait été modelé par le vacarme de l'industrie locale alors florissante, et notamment le "mega-clang" des presses industrielles de la machinerie automobile, explosant par delà les murs des usines.

C'est aussi le son de Détroit, sa rumeur, que l'on entend sur les disques post-punk de Protomartyr, gang du cru, dont la totalité des membres s'est retrouvé au chômage en un claquement de doigts dans cette cité déclarée officiellement en faillite – ce qui leur a permis de se consacrer à plein au groupe.

À ceci près que cette rumeur, ce son originel, résonnent bien différemment. Figurant la bande-son d'une ville où le rêve américain se serait retourné comme une crêpe avant de s'étaler sur un sol en proie au chiendent comme symbole d'une misère devenue incontrôlable.

Vérité

Ici, les guitares de Greg Ahee pleurent des larmes d'acier fondu, quand elles ne hurlent pas comme le corps d'un supplicié, comme le fantôme d'usines sacrifiées, comme le cœur révélateur d'un pays qui a perdu la tête.

Là, le chanteur Joe Casey porte haut la plume du groupe mais toujours, en digne chroniqueur de son époque, dans une plaie fumante. En héritier quasi direct de Mark E. Smith (The Fall) auquel il voue un culte visible, créant un pont avec le Manchester miséreux de la fin des 70's, Casey maugrée – quand il ne rugit pas d'un timbre d'Ase enivré qui rappelle des Sivert Høyem (Madrugada) ou des Matt Berninger (The National) – de saisissants monologues monocordes particulièrement imagés sur l'état du monde qui l'entoure, qu'il soit saisi au ras (la crise de l'eau potable à Flint, Michigan, la gentrification) ou dans une dimension plus large, pour ne pas dire existentielle.

Écrit au moment où le destin politique de l'Amérique chavirait comme un cargo fracassé sur un haut fond, Relatives in Descent court désespérément après la notion de vérité dans un univers si contaminé par les fake news qu'il a fini par en développer une tumeur à postiche orange. La réalité devenant elle-même un mensonge et l'oracle improbable d'une victoire impossible une vérité insoutenable qui résonne comme le fracas d'une presse métallique.

Protomartyr + Korto
Au Marché Gare le lundi 16 avril


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