De l'autre côté du miroir

Tout semblait les opposer mais tous les a ramenés l'un vers l'autre, à commencer par une troublante histoire familiale aux ramifications portugaises. Le violoncelliste Gaspar Claus et le chanteur danois d'Efterklang Casper Clausen en ont tiré un étonnant projet, enregistré à Lisbonne et publié il y a deux ans qu'ils viennent présenter à l'Épicerie Moderne.


La carpe, le lapin, on connaît l'histoire. C'est un peu celle de Gaspar Claus et Casper Clausen, deux quasi homonymes dont les personnalités semblent se regarder en miroir. L'un, Gaspar Claus, est français et né en 1983, « un jour d'été harassant ». L'autre, Casper Clausen, est danois, il a vu le jour un an plus tôt « une nuit d'hiver glacé. » L'un vit le jour, l'autre la nuit. L'un est un violoncelliste aux pouvoirs de Protée, l'autre est le chanteur d'un groupe caméléon, Efterklang.

Mais l'histoire dans l'histoire ne s'arrête pas là quand il s'agit d'envisager une collaboration pour un peu plus que la blague : leurs grand-pères respectifs Hans-Gert Claus et Helmer Clausen, ont tous deux fréquenté à l'hiver 1954 le Bairro Alto, le mythique "quartier haut" de Lisbonne, y vivant chacun de leur côté la même expérience à l'origine selon la légende, de leurs prénoms respectifs, Gaspar et Casper – en réalité le même.

On vous passe d'autres détails mais on serait dans un roman de Paul Auster ou chez W.G. Sebald qu'on ne paierait pas plus cher.

Superposition

C'est donc à Lisbonne évidemment, à l'instigation de leur ami Vincent Moon, réalisateur bien connu des amateurs de la Blogothèque – lui-même sujet à une vision – que Claus et Clausen sont partis (re)composer le mythe familial devenu commun.

Là, ils produisent un album, publié en 2016 et baptisé... Claus & Clausen, qui passe comme un rêve mais un rêve malaisant. Où le violoncelle de Claus qui peut aller chercher les plus divines mélodies comme se perdre dans l'abstraction bruitiste, triture la matière musicale – nul ne sait donner vie comme lui au pouvoir d'évocation d'un tel instrument –, traçant la voie au timbre gris et plaintif, parfois rageur, de Clausen – qui flirte avec le Scott Walker expérimental ou le soyeux David Sylvian. Mais une voie qui progresserait dans la brume du crépuscule et sur des chemins de traverse semés de buissons ardents.

Et cela agit comme une transe dont on ne saurait se dépêtrer, un passage de l'autre côté du miroir qui déforme les genres, les fait se confondre, les ouvre à tous les possibles. Sur la pochette de Claus & Clausen les visages des deux musiciens, fantomatiques, en superposition, se fondent l'un dans l'autre, comme si les pages de leur histoire se refermaient l'une sur l'autre. C'est toute l'idée de ce disque : la carpe et le lapin, à tous égards, ne forment plus qu'un.

Gaspar Claus & Casper Clausen + Bye Bye Dubaï
À l'Épicerie Moderne le mercredi 11 avril


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