« Le cheval, cet acteur... »

Il nous reçoit dans sa caravane accolé au chapiteau et aux écuries dans cet antre étrange et lunaire : un haras à la sortie de la ligne 7 du métro Fort d'Aubervilliers. Généreux, passionné, Bartabas revient sur cette création qu'il annonce comme ultime. Rencontre au soir de la 28e représentation : c'était le 27 novembre 2017.


D'où vient cette idée de ne mettre que vos chevaux sur le plateau ?
Bartabas :
Zingaro est une compagnie moitié homme moitié chevaux. Les chevaux nous servent avec générosité depuis trente ans. Comme je le dis souvent, les humains ont choisi de travailler ici ; les chevaux, on a choisi pour eux, donc j'ai eu l'idée de leur rendre hommage et, par extension, de célébrer les chevaux en général. Le spectacle vient de l'observation de ces chevaux qui a présidé à pas mal de tableaux, dont certains disent ce qu'ils ont apporté à l'humanité. Modestement,  car on ne peut pas traiter ça en deux minutes. Il y a des tableaux sur ce qu'a payé comme tribut le cheval à l'humain : le cheval de guerre, le cheval de travail, de traie…

Quelle est la part de risque ?
Là, les chevaux ont compris que c'était un jeu et qu'ils vont jouer tous les soirs à faire ça. Je ne sais pas comment ça va se passer dans deux ans et demi. Ça va évoluer peut-être. C'est ça la part de risque du spectacle, comment on va gérer sur le temps. C'est intéressant, car c'est une notion de jeu comme chez les humains qui jouent la comédie.

Vous en êtes à la plus de 28 représentations, le spectacle a-t-il déjà beaucoup évolué depuis les filages ?
Non pas vraiment. Disons qu'il s'est calé. Ça dépend des soirs. Ce soir, c'était plutôt pas mal. Ce qui est intéressant c'est que même lorsque ce n'est pas comme on l'espère, ça fonctionne car les spectateurs se rendent comptent que les chevaux pensent. C'est ça qui fait la qualité du spectacle. C'est très particulier : les spectateurs se découvrent à l'écoute des chevaux. Ce sont eux qui leur présentent une humanité.

Il y a une très grande écoute des spectateurs, plus encore que d'habitude.
Oui. Et honnêtement je ne le pensais pas. Je me disais qu'une partie du public allait peut-être décrocher, mais en fait pas du tout. Voire le contraire : les gens qui ne connaissent pas spécialement les chevaux sont encore plus intéressés. Ils ont une espèce d'écoute... c'est comme si un acteur rentrait sur scène et ne disait pas un mot pendant un quart d'heure ; on est suspendu à ses premières paroles. C'est une tension assez particulière. C'est construit comme un rituel dont le propre est qu'il n'y ait pas d'imprévu. Là, tout est organisé mais la part d'imprévu, c'est le cheval qui la donne, c'est l'acteur. C'est la manière dont il va interpréter. Tous les chevaux font ce qu'ils ont à faire et la qualité d'interprétation varie. Le soir de la première, le cheval qui marche sur sa poutre a mis vraiment longtemps à se décider. J'étais un peu catastrophé mais les gens ont trouvé ça génial, car c'est là que l'on voit le processus du spectacle. Parce que parfois, on s'interdit d'intervenir pour obliger le cheval. On ne peut que le présenter, le re-présenter. Il veut, il veut pas. C'est intéressant, car on voit la fragilité du spectacle, comme si un acteur disait j'y vais, j'y vais pas... et il finit par y aller.


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