Le cheval à corps et à vie

Délestés des humains (ou presque), les chevaux de Bartabas présentent leurs tableaux comme des grands. Moins immédiatement séduisant que ses précédentes créations, cet Ex anima est une expérience unique et sidérante qui s'installe en Savoie pour un mois.


C'est son expérience ultime, la dernière d'une série de dix-sept entamée en 1984 avec son premier Cabaret équestre. Échappé du cirque Aligre, l'écuyer mène un parcours clairvoyant et cohérent qui séduit un public d'une hétérogénéité complète. Comment sinon, afficher complet des mois durant à Aubervilliers ou lors des vingt représentations au Bourget-du-Lac (1300 places sous chapiteau !), seule une vingtaine de tickets restant à vendre chaque soir. Longtemps passé par les Nuits de Fourvière, Bartabas se décale un peu géographiquement avec ce spectacle radical et empreint d'une humanité déconcertante. S'il est question de sensibilité à l'approche d'Ex Anima, celui-ci nécessite, plus que les autres, d'être pensé en le regardant.

Car quoi ? Des chevaux entrent en piste, font un numéro et repartent ? Oui, mais ce que l'on voit ne peut suffire à décrire ce qui se passe sur la piste. Bartabas a poussé si loin son compagnonnage avec ces animaux - qu'il n'a pas la bêtise de mesurer à l'humain - qu'il leur rend entièrement leur singularité. Il travaille avec certains d'entre eux depuis des dizaines d'années, il lui faut cinq à six ans pour en dresser un et voici qu'ils sont au cœur de ce spectacle joué depuis cet automne.

La Croisade des chevaux

Finie la voltige éblouissante de Calacas ou Battuta. Sa précédente création, Élégie (pour respecter sa sacro-sainte règle des sept lettres) sous-titrée, On achève bien les anges, naissait post-attentats et la fin du monde nimbait son univers. Ici, l'humain s'en est allé. Comment ? On ne le sait pas. Mais les chevaux s'imposent dans des scènes contemplatives où ils jouent, se rabrouent, se chahutent, travaillent (cheval de trait), combattent (la guerre), dansent (une scène quasi électro sous lumière bleue). La mort rôde, des loups viennent ramasser les restes de barbaque.

Parfois, ce sont des oiseaux qui s'interposent. À chaque fois, un silence exceptionnel les entourent. Car, bien que présent en masse, le spectateur assiste à cet instant où il devient minuscule face à ces animaux qui ont pris possession des lieux et qui, bien qu'entraînés, peuvent décider de changer leur interprétation. Bartabas, dans une extrême attention à leur égard, décale le spectateur de son siège. Et, sans lui faciliter la tâche (le spectacle est âpre), l'emmène sur un territoire inconnu. Si ce n'est pas une définition de l'art...

Ex Anima
Au Bourget-du-Lac (résa via Bonlieu, Annecy) du 19 avril au 13 mai et levers de soleil, dimanches 29 avril et 6 mai à Saint-Jorioz


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