Le corps en déraison

Depuis onze ans, Thomas Foucher abreuve les murs de la Demeure du Chaos de portraits. Aujourd'hui, son fondateur Thierry Ehrmann lui a confié l'exposition annuelle du musée, lui permettant de dévoiler des travaux personnels hautement sensitifs et vertigineux.


Dans le ventre de l'imprenable Demeure de Saint-Romain-au-Mont-d'Or, se tisse la petite histoire d'un peintre dans les interstices de murs qui se risquent à nommer une humanité au bord du précipice. L'inintelligibilité du monde, ou plutôt sa déraison, fascine et traverse le corps de Thomas Foucher. Si le monde a peur du précipice, lui le regarde de biais et poursuit sa quête de sens de l'existence. 

« En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève, / Le silence, l'espace affreux et captivant… / Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant / Dessine un cauchemar multiforme et sans rêve » (C. Baudelaire,  Le Gouffre,  vers 4 à 8). De ce cauchemar baudelairien pour l'abîme, l'on ne vacille point au regard des peintures grand format enfoncées dans les chapelles du jardin de la Demeure du Chaos. Elles triomphent. Pas d'une façon suffisante. Elles triomphent dans la modestie et se délectent de ses images que l'on a forcément vues sur un journal, un vieux livre de photographies ou rencontrées dans la nature. 

Le corps est humain ou végétal, il est aussi crâne ; un fil conducteur qui délocalise l'être, le vivant. Tout est distendu, on se surprend même à ressentir un certain vertige malgré nos pieds bien enfoncés dans le terreau fertile de la Demeure. L'émotion est palpable, le malaise lui ne l'est point malgré le soulèvement des contradictions du monde. Dans ce bunker gigantesque cohabitent la beauté de la nature et la férocité de l'Homme. Elles se font face dans le plus pur anonymat. Pas de légende ici, mais une plongée au cœur de la matière,  une immersion purificatoire dans un tourbillon végétal à la grâce troublante. Le réalisme s'exprime en noir et blanc. Et de cette substance découle la capacité de l'artiste à s'émerveiller des choses les plus simples comme des plus complexes, et ce toujours via le spectre d'un trouble innommable. 

Thomas Foucher, Fibre(s)
À la Demeure du Chaos jusqu'au 17 juin


<< article précédent
L'utopie entre en piste