« Je suis un poète sans papier »

Dan Bozhlani, poète et écrivain publié en Albanie, a trouvé refuge à Lyon, mais n'a toujours pas de papiers. Demandeur d'asile en sursis, il continue d'écrire sans répit. Pour être vivant.


Une force éclatante qui s'empare de la pièce, un regard clair et perçant posé sur vous et le ton décidé d'un homme qui sait ce qu'il veut, malgré tout : Ramadan Bozhlani dégage une présence peu commune, planqué sous sa casquette qui ne le quitte jamais ; « je la garde pour la photo, les gens ne me connaissent qu'avec ma casquette ».

De son passé, on ne saura que peu, sinon que le jeune homme est né à Vushtrri, au Kosovo, pays qu'il a quitté suite à la guerre. Dan, comme on l'appelle, préfère parler d'avenir, qu'il imagine fertile pour mieux oublier le présent, accaparé par les turpitudes de l'administration française qui lui a refusé par deux fois l'asile, c'était à Bourg-en-Bresse où il est arrivé en septembre 2012.

« À chaque fois, j'ai été déçu : réponse négative. Je vais déposer un nouveau dossier, cette fois à Lyon, en juillet. Je pense qu'ici ils peuvent accepter un poète. Lyon est un épicentre de culture et je suis dans cette ville depuis deux ans. »

Lyon est devenue « ma ville de cœur et la France, ma seconde patrie. Les gens me demandent parfois pourquoi j'aime autant un pays qui ne me donne pas de papiers. Ce n'est pas grave ! Même si on m'expulsait, j'aimerais la France : c'est le pays de Victor Hugo, de Jean-Jacques Rousseau, de Camus… Cette nation ne peut pas être, sans écrivains ni poètes. La France a toujours accueilli beaucoup d'écrivains, j'espère que ce sera mon cas. Ismaïl Kadaré, un écrivain albanais, a eu l'asile politique ici en octobre 1990. » Un exemple qui lui donne espoir, lui qui a publié en Albanie son premier roman, écrit en 2016 dans les bibliothèques de Lyon, où il trouve le calme dont il a tant besoin : Le Cri de Conscience. Une fiction pleine d'amour pour le Kosovo, « un peuple magnifique ». Il rêve de le faire paraître ici, a déjà fait traduire quelques pages, mais ça coûte cher, très cher, et les éditeurs voudraient pourtant en lire plus...

Et il y a la poésie, que Dan parfois publie dans les revues comme celle de Singa. Ou dans un recueil, Devant la tempête, paru au Kosovo, c'était en 2011. « J'essaie d'écrire simple pour dire de grandes choses, je n'aime pas compliquer mes poèmes, pour qu'ils puissent toucher tout le monde ». Sans cesse, il est ramené à la dure réalité du quotidien :

« sans chambre pour écrire, je ne peux pas travailler. J'essaye, pour être en vie. Mais je vis comme un fantôme. Si un Français était à ma place, il deviendrait client pour psychologue : pas de travail, pas de logement. » 

À Lyon, au moins, Dan a rencontré beaucoup d'amis et s'investit énormément dans la vie associative, œuvrant pour les Restaurants du Cœur, pour Singa : « je fais beaucoup de choses dans les domaines littéraires, écologiques. Bénévolement. Je suis venu pour continuer mon parcours et être au calme. Mais moralement, physiquement, je suis épuisé. Le mot "attendre" me fait un effet terrible : quand j'entends ce mot… ça fait cinq ans que j'attends ! »


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