Belle de Nuits

Plus de vingt ans de carrière, dont quelques années et albums cultes, et pas un concert lyonnais pour les Écossais de Belle & Sebastian. Les amateurs de cette pop ouvragée aux accents folk et mélancoliques peuvent mourir tranquille, réparation est (enfin) faite par les Nuits de Fourvère.


Si vous avez eu entre 20 et 30 ans au milieu des années 90, pratiquez la religion de la pop inventive et du rock indé anglo-saxon, et êtes un tant soit peu casanier, alors il se peut que l'annonce de la venue de Belle & Sebastian à Fourvière vous ait fait comme un petit frisson dans l'échine. Et pour cause, la troupe d'âmes sensibles de l'esthète Stuart Murdoch n'avait jamais jusque-là fait de détour par Lyon et il est probable que vous ne les ayez jamais vu en concert.

Un frisson venu de loin faisant naturellement écho à celui ressenti lors de l'entrée tout en entrechats de la formation écossaise dans un paysage pop qui rugissait alors d'accords brit pop et de petites frappes au menton haut et au verbe court, dont Belle & Sebastian est l'antithèse. À l'origine du groupe, on trouve Stuart Murdoch, héros très discret et fatigué chronique (il est atteint d'encéphalomyélite myalgique, ce qui l'empêche d'étudier) se réfugiant dans une sorte d'isolement musical qui nourrira sa pratique musicale comme les thèmes de ses chansons.

Lorsqu'il crée Belle & Sebastian début 1996 avec un autre Stuart – David – il vit au premier étage d'une église dont il est le gardien et où le groupe enregistrera par la suite (il ne la quittera qu'en 2003). À ce stade, Belle & Sebastian est déjà tellement prolifique que le premier album du groupe Tigermilk ne parvient pas jusqu'à nous. Utilisé comme projet de fin d'études d'un cycle pour musiciens au chômage (qui ne devait consister au départ qu'en une chanson) Tigermilk n'est publié qu'à 1000 exemplaires (il sera réédité en 1999) et contient tout de la soyeuse sève du groupe.

Romantiques et éperdus

Mais ce tout, c'est sur If You're feeling sinister qu'on le découvre la même année, deuxième album faisant donc office de premier, véritable collection de timides chrysalides folk se déployant comme des papillons de collection, d'envolées pop en grand huit et de ballades à pleurer (parfois de joie), qui doivent autant au folk anglais qu'aux orchestrations baroques de la pop psyché de Love ou des Kinks (cuivres violoncelles et claviers ont la part belle) et sur lesquelles Murdoch vient poser des textes d'une justesse (des histoires de tourments adolescents réfugiés dans la pop culture) et d'une qualité littéraire telles que la pop n'en a pas connu depuis les Smiths.

Si tout semble les opposer, Murdoch et Morrissey partagent en effet, outre un goût assez trouble pour la solitude, un attrait certain pour la chose littéraire mais aussi pour l'image (Murdoch s'essaiera même à la réalisation avec God Help the Girl en 2014). Comme chez les Smiths l'esthétique des pochettes est une signature forte de la geste Belle & Sebastian avec ses clichés noirs et blancs filtrés en monochrome représentant la plupart du temps des adolescents que l'on n'a guère de peine à deviner romantiques et éperdus de tout.

Manière aussi pour le groupe de se cacher un peu plus du cirque médiatique (il donne peu de concerts, accorde peu d'interviews et ses photos sont alors rares). À cette époque, Belle & Sebastian renoue aussi avec cette tradition ancienne – luxe d'esprits féconds – des singles qui ne figurent pas sur les albums : avec rien qu'en 1997, trois EP impeccables : Dog on Wheels, Lazy Line Painter Jane, 3, 6, 9 seconds of life, que suivront d'autres moyens formats tels que, entre autres, le splendide This is just a modern rock song (une poignée de merveilles compilées en 2005).

Apogée

Son apogée, Belle & Sebastian l'atteint avec son chef d'oeuvre The Boy with the Arab Strap et son premier Top 10 des charts britanniques Fold your hands child, you walk like a peasant qui semble témoigner d'une inspiration inépuisable. Mais les âges d'or se pâtinant toujours, le tournant des années 2000 marque quelques changements pour B&S avec le départ de Stuart David puis de l'emblématique chanteuse Isobel Campbell vers une jolie carrière solo (et de splendides disques avec La Bête Mark Lanegan), ainsi qu'un changement de label.

C'est aussi sans doute le début de la fin de la grâce absolue quand la BO du film Storytelling déçoit jusqu'à son réalisateur Todd Solondz – il est vrai peu conciliant. Et l'on ne sait guère quand Belle & Sebastian agace le plus : quand il semble se répéter, même avec de beaux restes de grâce (Dear Catastrophe Waitress, The Life Pursuit) ou quand il s'essaie à quelques embardées soul et/ou électroniques d'assez mauvais goût ou se fourvoie dans une sorte de banalité électrique (les trois derniers albums, pas moins).

Comme un ancien amour, il faut admettre que la bande à Murdoch ne nous fait plus le même effet qu'au premier regard. Mais il suffit qu'il refasse signe après toutes ces années et passe en ville, pour que l'étincelle renaisse et que l'on accoure à nouveau. Peut-être parce que c'est précisément à ce genre de sentiment que s'adresse la musique de Belle & Sebastian. Celle d'un frisson qui ne demande qu'à ressurgir.

Belle & Sebastian + The Nits
Au Théâtre Antique de Fourvière le mercredi 18 Juillet


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