À base de Popopop

Avec Dialectique de la pop, la philosophe et pop critique Agnès Gayraud, également musicienne sous le nom de La Féline, interroge en profondeur l'essence et les belles contradictions des « musiques populaires enregistrées ».


Peut-être les amateurs de la chanteuse électro-pop connue sous le nom de La Féline, ignorent-ils qu'Agnès Gayraud à l'état civil est également journaliste, normalienne et docteure en histoire de la philosophie. Or ces activités se rejoignent dans un livre : Dialectique de la pop, titre fort sérieux pour un sujet qui ne l'est pas en apparence. Mais en apparence seulement, et c'est tout le sujet du livre.

D'ailleurs si la pop n'était pas sérieuse pourquoi le philosophe et sociologue Theodor Adorno, pilier de l'École de Francfort, l'aurait-il combattu avec tant de sérieux, lui qui détestait le jazz et l'idée que l'on puisse écrire des chansons pop sur la guerre du Vietnam. « La musique populaire légère est mauvaise, doit être mauvaise sans exception » disait ce « hater hyperbolique » de la pop, au risque de la mauvaise foi.

C'est en spécialiste du bonhomme qu'intervient ici Agnès Gayraud pour faire de cet « ennemi objectif » de la pop son « allié subjectif », retourner comme un gant la thèse d'Adorno et s'en servir à la manière d'un judoka.

Graal esthétique

Mais qu'est-ce au fond que la pop, ici ? Non pas un genre, mais un art musical spécifique reposant sur une forme générique, où le technologique est ontologique : là où les musiques savantes chères à Adorno reposent sur l'écriture de partitions, et la tradition folklorique sur une transmission orale, la musique populaire existe par l'enregistrement qui rend canonique une chanson des Beatles quand le génie de Mozart ne peut être gravé. C'est donc l'enregistrement qui fait l'œuvre et transcende les genres (rock, blues, folk, hip-hop, country...).

Mais à cela, nous dit Agnès Gayraud, il faut ajouter une dimension esthétique qui forge l'aspect populaire de la pop : d'un côté une nécessaire « incarnation individuelle et particulière », la subjectivité exacerbée des artistes, avec les variables que cela implique.

De l'autre un « idéal esthétique qui scelle la réconciliation utopique entre une expression artistique et son évidence », sa richesse de significations cachées et son immédiateté, une « utopie de la popularité » qui s'obtient dans le hit, ce « Graal esthétique ».

De là, l'autrice interroge une musique pétrie de contradictions qui aime se penser contre elle-même et avec laquelle nous entretenons un rapport complexe et parfois schizophrène. « La pop, écrit-elle, est chargée de ces contradictions qui participent de sa définition ». Avec Dialectique de la pop, Agnès Gayraud livre une somme impressionnante et érudite, pas toujours facile à appréhender, encore moins à résumer, mais qui ouvre un appétit féroce de savoir et de découvertes pop.

Agnès Gayraud,  Dialectique de la pop (La Rue Musicale / La Découverte)
À Musicalame le jeudi 4 octobre à 19h30


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