Pauline Delabroy-Allard : sans Sarah rien ne va !

C'est l'un des premiers romans les plus remarqués de la rentrée, signé Pauline Delabroy-Allard, toujours en lice pour le Prix Goncourt et quelques autres. L'histoire d'un amour incandescent entre deux femmes qui se termine forcément mal. Un livre impressionnant dans sa description d'une passion dévorante qui se délite ensuite lorsqu'il s'agit d'en faire le deuil. Bancal comme les sentiments qu'il décrit.


C'est dans les "moments de latence" que vient se nicher le destin. La narratrice de Ça raconte Sarah, professeure-documentaliste, mère d'une petite fille, vaguement recasée après une relation ratée avec le père envolé de sa fille, est au milieu du gué d'une de ces périodes où la vie sonne creux, où l'horizon est plat où que l'on regarde. C'est une certaine Sarah qui vient l'en tirer en surgissant un soir de nouvel an comme une poignée de cotillons lancée à bout portant.

Les deux femmes deviennent inséparables, amies, puis, presque inévitablement amantes. Et la narratrice d'être emportée dans le tourbillon Sarah, violoniste fantasque, pas vraiment belle, juste sublime, dont les yeux verts ne le sont pas, « d'une couleur insolite », « yeux de serpent aux paupières tombantes ».

Sarah qui « est vivante », comme si c'était une qualité rare, un pouvoir magique. Cela revient comme un mantra dans la bouche d'une narratrice qui n'imaginait pas que tant de vie fut possible, que la passion put se faire si dévorante, accabler autant que combler.

C'est l'amour fou, l'absolu touché du doigt, déconnecté de la réalité, qui fait oublier tout le reste, qui emporte tout, comme l'écriture en tourbillon de Pauline Delabroy-Allard. L'amour qui ronge aussi, comme une drogue.

Deuil impossible

Et l'histoire de finir par épuiser les amantes. La narratrice incapable de suivre le rythme de cet éveil au monde trop violent, de cette explosion des pulsions – ce « Ça » qui raconte Sarah ?. Et Sarah, volatile comme un explosif, en perpétuel mouvement, à la fois souffle et « soufre », trop ardente pour ne pas consumer cet amour né, littéralement, dans un craquement d'allumette. C'est elle, trop vivante encore, qui, après maintes hésitations, met un terme à la passion. Et, ironie de la tragédie, tombe malade. Cancer du sein.

L'amante éconduite, « veuve » de son amour laissée pour morte – elle en est « presque » sûre – après une ultime étreinte s'enfuit à Trieste, abandonnant derrière elle jusqu'à sa fille. Dans la ville frontière, elle se retrouve autant qu'elle perd pied dans l'introspection d'un deuil impossible. Celui de Sarah peut-être moins que celui de son amour.

C'est là sans doute, dans cette deuxième partie que l'histoire se délite quelque peu, accumule les longueurs, navigue à vue et, comme son personnage tourne en rond au risque du cliché – faut-il qu'une passion si parisienne, pour ne pas dire germanopratine, soit noyée dans le Spritz sans qu'on ne puisse s'empêcher d'y voir quelque ironie ?

C'est la limite de ce premier roman, qui comme la passion qu'il décrit, ne sait pas comment finir. Ou peut-être les deux sont-ils finalement raccords, sans que l'on puisse définitivement trancher la question.

Pauline Delabroy-Allard,  Ça raconte Sarah (Minuit)
À la Librairie Passages le mercredi 10 octobre


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