Comment la ville se réinvente

Plusieurs projets, encore en gestation ou tout juste concrétisés, façonnent une nouvelle manière de voir la ville : entre tiers-lieux, spots éphémères, friche artistique et food courts, rapide état des lieux des mutations en cours.


La Halle Girard qui devient H7, la folie des food courts qui poussent comme des champignons dans tous les quartiers de la ville, le Collège Truffaut remodelé, la salle Rameau réinventée, l'église Saint-Bernard remixée, les anciens locaux de la SNCF à La Mulatière lorgnés par tout ce que la ville compte d'acteurs culturels et économiques, l'Hôtel 71 que prépare Arty Farty, le succès de La Commune ou encore la possible arrivée de La Bellevilloise (de Paris) dans le cadre de la renaissance de la Caserne Sergent Blandan, la transplantation du CCO à La Soie, les projets d'occupation éphémère comme les Halles du Faubourg ou une friche réhabilitée à la sauce underground par Grrrnd Zéro : la ville n'en finit plus de se réinventer, d'explorer son patrimoine culturel et industriel, d'expérimenter de nouvelles formes de travail en commun et d'innover pour appréhender différemment la vie dans la cité. Les urbanistes ont capté l'intérêt, les architectes se régalent, les élus ont en partie compris qu'il fallait accompagner ses projets. Et les promoteurs immobiliers, jusque-là réticents à toutes ses exploitations hybrides et surtout éphémères, jouent désormais le jeu. Qu'est-ce qui a changé ?

Lors d'une rencontre Meet & Greet organisée par Arty Farty à Sitio, ce mercredi 3 octobre, où des porteurs de projets pitchent leurs idées devant une jeune et forte affluence passionnée, Paul Citron de Plateau Urbain l'explique en un mot : la confiance. Désormais, élus, promoteurs, acteurs culturels et économiques sauraient se faire confiance, selon lui. Et trouver un intérêt partagé à développer des formats différents et hybrides pour ces lieux au point, donc, que des sociétés se créent pour endosser le rôle de l'intermédiaire entre toutes ces parties : comme Plateau Urbain, société coopérative d'urbanisme transitoire implantée à Paris mais qui développe un projet à La Duchère, petit bâtiment au pied d'une tour dont les différents espaces font actuellement l'objet d'un appel à projets pour une occupation de 18 mois. Ou encore par ici Intermède, dont la première action est la mise en orbite des Halles du Faubourg en compagnie de la Taverne Gutenberg. Au vu du succès massif du week-end d'ouverture (lire en page 9) de cet entrepôt situé au fond de l'impasse des Chalets dans le 7e, l'on peut confirmer que les citoyens répondent présents. Et que côtés élus, on aime s'y montrer : de Florence Verney-Carron (vice-présidente à la Culture de la Région) à David Kimelfeld (président de la Métropole), en passant par Catherine Panassier et Myriam Picot (maires du 3e et du 7e) tous et toutes se sont précipités au vernissage. 

Grrrnd Zéro enfin installé

Nous sommes passés de l'ère du squatt que l'on tente de chasser par tous les moyens à la friche investie légalement que l'on vient inaugurer par force discours. Retournement de situation ? Pas tout à fait. D'un côté un ex-squatt artistique comme Grrrnd Zéro bénéficie désormais d'un lieu à Vaulx-en-Velin, prêt à ouvrir officiellement très bientôt, et de subventions de la Ville de Lyon (310 000€), où concerts, studios de répétition et salle d'exposition vont cohabiter. Une reconnaissance tardive pour un collectif indispensable à Lyon, où cette frange de l'underground a toujours gratté l'institutionnel tout en façonnant une part cruciale de la culture locale.

Mais de l'autre, des squatts où sont hébergés des réfugiés sont régulièrement ouverts puis fermés par les autorités, sans solution de relogement. La crise migratoire a sans doute poussé certains promoteurs ou collectivités à ne pas laisser vides leurs espaces pour éviter le squatt intempestif : ainsi, pas de frais de gardiennage et d'entretien à payer, pas d'expulsion à solliciter ou de risque de bâtiments bloqués durant des mois ou des années... et parfois un loyer à prix coûtant encaissé. Pragmatisme ou cynisme ?

L'inspiration tiers-lieux

D'autres lieux prévoient de leur côté du logement social ou une réflexion sur le lien avec les réfugiés : c'est le cas du CCO, qui en attendant de déménager définitivement à La Soie en 2023, a initié une occupation temporaire de ses futurs locaux, L'Autre Soie, entre social, économie solidaire et culture. Le mouvement des tiers-lieux a largement contribué à la reconfiguration du patrimoine industriel des villes et à la perception nouvelle de ces lieux pluridisciplinaires. Tiers-lieux ? Difficile à définir, mais... il ya quelques constantes : la mixité des activités, l'implantation souvent forte dans le quartier, la possibilité de moduler au fur et à mesure, la cohabitation d'activités économiques, sociales et culturelles, un lieu si possible atypique, le refus des stéréotypes. Mais rien n'est figé !

Le concept a été forgé par le sociologue urbain Ray Oldenburg en 1989 dans son livre The Great, Good Place. À l'origine, c'est le lieu qui n'est ni domicile, ni travail. Mais où se développe la possibilité de travailler dans un cadre au confort proche du chez-soi. C'est un lieu hybride, où le lien social se crée différemment, où l'on choisit d'aller, convivial. Certains spots sont à dominante culturelles, d'autres geek ou citoyenne. La pluriactivité est la règle. Les tiers-lieux ont infusé dans la société et le projet de la future salle Rameau s'en inspire, mêlant salle de spectacles et de conférences, toit accessible à tous et restauration, petit marché de la culture au rez-de-chaussée. L'activité de bar et de restauration finance la programmation culturelle. En toute logique, les publics vont se croiser, se mélanger.

En cela, la réaction épidermique de Nathalie Perrin-Gilbert à l'attribution de ce projet semble décalée et hors-sujet : « la Ville de Lyon a ainsi frileusement choisi un projet très classique, déjà beaucoup développé dans d'autres métropoles françaises, et surtout à vocation très commerciale notamment pour le rez-de-chaussée et l'attique. Malgré des qualificatifs généreux, ce nouvel équipement sera essentiellement dédié à la vente (culturelle, alimentaire), et il contribuera à accélérer le processus de gentrification du 1er arrondissement. » Elle oublie que jamais un projet culturel ou de restauration n'a créé de gentrification. La réponse à ce problème réel n'est certainement pas le refus de laisser des acteurs culturels et économiques s'implanter, surtout quand 200 spectacles sont attendus dans l'année, mais en imposant par exemple, l'encadrement des loyers. 

Ces tiers-lieux ou friches, éphémères ou durables, underground ou issus du monde économique,  ces nouvelles façons de concevoir la culture où se croisent expériences et publics, mondes associatifs et entrepreneurials, où peuvent naître de nouvelles formes de vivre-ensemble et d'imaginer une cité résiliente, sont assurément à observer de près : il s'agit de l'avenir.


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