Le Café du Nain, mi-bistrot mi-lyonnais

Le bouchon de Chinatown a changé de propriétaire : le voici ouvert à la lumière et à l'air du temps.


S'il existe un matériau qui isole des modes, alors c'est avec lui que l'on a construit les bouchons. Les tendances culinaires à l'allègement, à l'esthétisation, au sans (gluten, viande), au retour du légume, elles ont toutes glissé sur eux, comme l'eau sur les plumes d'un canard. Un bouchon moderne reste un oxymore. On le veut toujours dans son jus : oasis d'abats, d'opulence, de bon gras. Ce conservatisme lyonnais, et l'attrait touristique pour celui-ci, sauveront-ils éternellement ces restos de la ringardise ? De jeunes chefs, lassés de leur côté par la cuisine d'assemblage, les menus à slash et les assiettes à splash, auront sûrement (bientôt ?) envie de s'attaquer à ces monuments. Les oracles gastronomiques et les faiseuses de tendances parlent bien d'un actuel ou imminent retour du "plat", des sauces, de la comfort food, alors pourquoi pas ? Pour l'instant on spécule, mais il y a des débuts d'exemples.

Prenez Quentin Orozco et Julien Pellerin, élevés pendant dix ans à la Mère Jean, un bouchon de la rue des Maronniers, daté de 1923, du style quenelles, gras double, pied de veau & co. Ils viennent de reprendre le Café du Nain, rare établissement similaire du 7e, tenu durant 17 ans par la famille Pillon. Où ils ont saisi l'occasion de s'émanciper (un peu) de l'ambiance et de la cuisine old school qu'ils envoyaient à Bellecour. Côté déco, on a aéré l'endroit, tout en gardant la touche 60's : mobilier et comptoir stratifiés, plafond aux formes presque mouvantes, grands plafonniers-ventilateurs. Les deux compères ont viré la collec' de nains de jardin, pour la remplacer par la leur (des nains aussi, relookés par des artistes comme Caroline Balland) et repeint les murs en jaune et bleu, façon Ricard ou Michelin - une sérigraphie rend d'ailleurs hommage à Bibendum.

Indispensable mâchon 

L'ardoise joue l'entre-deux : mi-bistrot mi-lyonnais, tradi en tout cas. En entrée, on retrouve le gâteau de foie de volaille, les lentilles au museau, ou pour nous une salade au hareng, carottes à l'anglaise, poireaux crus et chou rouge. Ensuite, outre le saucisson chaud ou l'andouillette moutarde, un excellent plat de maman (celle de Julien en l'occurrence) : haut de cuisse de poulet, mijoté au vin blanc, des quenelles (de chez Gast) ayant gonflé dans le bouillon, purée de patate et ciboulette. Et enfin, une simple part de fondant au chocolat, à peine cuit, resucré au caramel beurre salé, ou une cervelle de canut, voire une alléchante part de tarte aux noix et cuillère de crème fraiche.

L'ensemble est simple et bien fait, avec des produits frais : des abats de Corbas et des volailles de la Bressane, des frometons des Trois Jean et des légumes du département. Tout cela s'arrose avec des pinards propres sur eux, comme le Fleurie de Romain Zordan ou le Beaujo Blanc de Foillard. À noter que puisque le Café du Nain (ancienne version) était membre des Francs-Mâchons, les nouveaux propriétaires veulent poursuivre la tradition en organisant une fois par mois un mâchon - le premier, le 3 novembre. Pour les néophytes : il s'agit historiquement d'un repas que les ouvriers de la soie (à l'instar des forts des Halles parisiennes, et leur gratinée) prenaient à l'aube, après leur demi-journée de travail.

Le Café du Nain
5 rue Montesquieu, Lyon 7e
De 9h à 14h30 et de 19h à minuit ; fermé le week-end (sauf en cas de mâchon)
Menu à 19€ au déjeuner comme au dîner


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