Le Petit Bulletin Festival pour ceux qui n'y étaient pas

Un an après sa première édition, le retour du Petit Bulletin festival à la Chapelle de la Trinité a donné une fois encore lieu à quelques moments de magie, fruits de l'atmosphère unique du lieu et de la générosité musicale de L, Stuart A. Staples et Yael Naim, les artistes invités trois soirs durant. Retour sur un week-end riche en émotions.


L (Raphaële Lannadère), ovni

Pour la première incursion du Petit Bulletin Festival aux frontières de la chanson française, c'est peu de dire que L livra une prestation étonnante. Aux "frontières de la chanson française" car avec ses arrangements, élancés, pour deux violoncelles et un percussionniste, la chanteuse livra aussi un ovni musical qui ne mit pas longtemps à décoller entre les murs de la Chapelle de la Trinité.

Musiciens tout de noirs vêtus, L d'une grande élégance dans sa robe sombre évoquaient en effet davantage les codes du classique et parfois du cabaret mais brisaient tous les autres, pour des versions bouleversantes, tantôt mélancoliques, tantôt dansantes, dans un mélange d'intensité et de légèreté, de gravité et d'espièglerie parfois, de titres de Chansons son dernier album – tels La Meuse, Laisser Passer, Tempête, La Micheline ou Orlando, au splendide final gospel emprunté au Gentle Angry People de Holly Near, mais aussi Sur mon île, son hommage à la chanteuse Lhasa, ou son classique Petite.

Le tout conclu par un émouvant rappel sans micro au milieu du public accompagné par un unique violoncelle. Quelque chose de l'ordre de la classe pure.


Stuart A. Staples, unique

C'était un concert unique à tous points de vue, parce qu'il était le seul, cadeau inestimable, que Stuart A. Staples avait choisi de donner suite à la sortie de son dernier disque Arrythmia et parce que pour l'occasion, le chanteur des Tindersticks avait choisi de bâtir un édifice musical audacieux, à la fois d'une rare fragilité et d'une grande puissance tout en retenue, superbement épaulé dans son ouvrage par Dan McKinna aux claviers et le batteur tout en subtilité qu'est ce diable de Thomas Belhom.

Après la découverte de Fiona Brown qui assura de sa voix blues la première partie de la soirée en compagnie de Neil Fraser transfuge, lui aussi, des Tindersticks, Stuart A. Staples entama son concert en apesanteur avec notamment deux titres étranges et pénétrants d'Arrythmia : Memories of Love et l'ascensionnel A New Real, pourtant difficilement transposables sur scène. Puis se lança, toujours dans une atmosphère en suspension à peine perturbée par les aboiements d'un chien dans la nuit lyonnaise (comme un clin d'œil au Lucky Dog qui donne son nom à son studio de la Creuse et même, nous dit-il, hilare, au film de Claire Denis dont il vient de composer la musique), dans un répertoire plus up-tempo.

De là surgirent notamment l'habité Say something now et le splendide classique staplesien, That leaving feeling, en duo avec Fiona Brown qui comme Neil Fraser l'avait rejoint sur scène pour quelques titres. Puis à deux reprises, dont un rappel, un inédit, Willow, composé pour la BO d'High Life, le précité film de science-fiction de Claire Denis, qui ne fut pas sans ajouter sa touche d'inquiétante (même si enveloppante) étrangeté à une soirée qui n'en manqua pas.


Yael Naim & les Métaboles, renversante

Toujours partante pour les défis musicaux avec ou sans filets, et fort généreuse en la matière s'agissant de ses prestations en Petit Bulletin live ou Petit Bulletin Festival, Yael Naim avait cette fois, après les cordes avec le Quatuor Debussy, travaillé sa création autour de la voix. Un exercice, l'arrangement vocal, dans lequel cette remarquable chanteuse est forcément très à l'aise.

Pour l'occasion, huit chanteurs des Métaboles, l'ensemble qui l'avait accompagné en grand nombre il y a quelques mois à la Philharmonie, était à l'honneur, en cette Chapelle de la Trinité pleine à craquer, pour souligner la richesse des compositions de Yael Naim.

Car ce fut également l'occasion pour le public de s'ouvrir à de nouveaux morceaux dont l'autrice-compositrice soulignait la fragilité sans que l'on puisse véritablement la déceler (on pense par exemple à l'émouvant Daddy) tant ses échanges musicaux avec son alter-ego David Donatien, passant d'un instrument à l'autre comme qui rigole, semblaient aller de soi. Mais aussi de redécouvrir quelques classiques de la dame dans de splendides versions, à l'image de Coward ou Dream in my head mais aussi Lonely au cœur du premier rappel. Juste avant Yael et David s'installaient, comme L deux jours plus tôt, au cœur de la Chapelle et livraient au marimba et à quatre mains, une version renversante d'I Walk until.

Le second rappel, entamé avec une version vibrante de 7 Baboker, se concluait par un autre classique « naimien » : sa fameuse reprise du Toxic de Britney Spears en mode piano batterie. Sur le final duquel, seule face au public, Yael Naim, qui avait démontré tout au long de la soirée l'étendue de sa palette vocale et stylistique, se muait quasiment en prêtresse vaudou devant une audience envoûtée. La messe pouvait finir, elle était dite, et bien dite.


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