Le Blues du business

Combinant répertoire traditionnel américain et chanson engagée, la Louisianaise Leyla McCalla poursuit son remarquable travail de protée musicale sur le prochain Capitalist Blues. Où elle prend une fois de plus le parti des laissés pour compte. Une artiste exceptionnelle à découvrir dans le secret du Polaris.


Après A Day for the Hunter, A Day for the Prey, qui empruntait son titre à un proverbe haïtien et qui mettait en lumière le destin – vécu par ses parents – des Haïtiens immigrés aux États-Unis en le raccordant à la situation des migrants tout autour du globe, Leyla McCalla chante sur un album à sortir fin janvier le Capitalist Blues.

Et sa chanson titre de résonner comme un Like a Rolling Stone version steamboat-jazz mêlé de bastringue : là où Bob Dylan hélait le rêve américain à coups de « When you got nothing / You got nothing to lose », Leyla McCalla chante « If I give everything / I won't have much more to lose », rejetant les mécanismes d'un capitalisme au sein duquel pour beaucoup tenter l'ascension de l'échelle sociale revient à s'épuiser à gravir un escalator en sens inverse.

C'est tout l'art de Leyla McCalla que de tendre des ponts entre la tradition folklorique – longtemps d'ailleurs son œuvre n'aura été principalement qu'adaptation de poèmes et d'incunables country, folk et blues cueillis dans la bibliothèque de l'Americana profonde ou du monde créole, des poèmes de Langston Hughes au Little Sparrow d'Ella Jenkins – et l'ultra-modernité du monde plus ou moins contemporain (elle chantait aussi le Vietnam sur son précédent album) et de l'actualité qui se répète en boucle (le capitalisme ne sachant se rééduquer, on le verra à la prochaine crise financière, semble dire en creux Capitalist Blues).

Caméléon

Soit une sorte de chanson engagée prenant racine dans le cœur même de la culture US et dans ce blues, mère de toutes les musiques américaines, qui trouve ses origines dans la complainte du déclassement social en une sorte de geste prophétique pour les décennies à venir.

Véritable caméléon linguistique (anglais, français, créole haïtien, langue cajun) et stylistique (elle est aussi une remarquable interprête de Bach), multi-instrumentiste (violoncelle, guitare, banjo...) Leyla McCalla délaissera cette fois sur Capitalist Blues, les contours old-time américains évoqués plus haut et un temps étrennés au sein des Caroline Chocolate Drops pour se tourner vers le jazz de la Nouvelle-Orleans et les musiques traditionnelles créoles (zydeco louisianais, rara haïtien...).

Manière pour la musicienne de se rapprocher toujours plus de ses racines haïtiennes et de l'essence de son État d'adoption, la Louisiane, comme de ceux à qui non seulement le capitalisme ne profite pas mais qui en plus subissent sa violence de plein fouet : les pauvres et les réfugiés.

Leyla McCalla
Au Polaris le samedi 17 novembre


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