Une génération à marche forcée

Force vive de la nation et aussi catégorie d'âge la plus touchée par les conflits, la jeunesse est au centre de la nouvelle et passionnante exposition du CHRD. Voici comment la "Génération 40" a tenté d'exister.


« J'ai les jambes en capilotade parce que je suis allée au palais de la Foire pour recevoir les réfugiés (…) Beaucoup d'enfants sont séparés de leurs parents et ignorent où ils sont. Ils ont fui de la Belgique, du Luxembourg ou du nord de la France avec précipitation et sous le feu des mitrailleuses allemandes qui les harcelaient sans cesse... »

Denise Domenach-Lallich a 16 ans en 1940. Son journal est le fil rouge du parcours de cette expo et résonne férocement avec la situation actuelle. Pourtant le CHRD n'en fait pas un étendard, pas plus que de l'original de la lettre de Guy Môquet (!) hideusement utilisée par Nicolas Sarkozy à des fins électorales. Ici, rien ne se marchande et tout se transmet. Comme la voix de cette même jeune femme qui a témoigné au cours d'une des dernières collectes opérées, car le temps fuit comme le précise Marion Vivier, co-commissaire.

Cette mise à disposition du récit sans l'exhiber est l'ADN même de ce CHRD rénové en 2012. Et comme un trait d'union entre ce qui se dit de façon permanente à l'étage et ce qui chaque année se décline temporairement, la première photo exposée, juste après les kakemono d'une jeunesse en joie sautant dans le vide, est ce cliché - couverture de l'ouvrage consacré à l'expo permanente Une ville (Lyon) dans la guerre - de l'incendie du Port Rambaud et ce carburant brûlé dans le Rhône pour ne pas que les Allemands s'en emparent.

Oui tout brûle et la jeunesse va être la première catégorie de la population à en faire les frais. Nommés J3 sur les tickets de rationnement, les 13-21 ans vont constituer une masse à dompter pour le régime de Vichy. Seuls 3% d'entre eux vont au lycée, la plupart travaillent et il va falloir encadrer leur temps libre. Surtout l'orienter. Dès la seconde salle résonne la voix de Pétain qui, à l'été 40 met en place les Compagnons pour les 14-20 ans volontaires en zone non occupée. Suivront les Chantiers à 20 ans, obligatoires. Des affiches, un uniforme traduisent cette période qui voit aussi les jeunes filles formées aux travaux ménagers et cette affiche si peu sibylline : « Maintenant un jeu, plus tard une mission » d'une enfant cajolant une poupée...

Exode et migration

Cette introduction nichée dans ces caves voûtées, antichambre de la torture sous la gestapo, laisse ensuite place à une scénographie dépouillée. Quatre grands écrans de cinéma, des visages, des noms, des mots et cette trichromie si liée à la période : le bleu-blanc-rouge. Déroutants mais in fine astucieux, ces panneaux masquent quatre tables arrondies supports aux archives - souvent écrites – pour relater le STO, la Résistance, la répression et l'immédiat-après-guerre.

Les mouvements de jeunesse (jamais unifiés en France comme en Allemagne car l'Église le refusait ardemment) ne vont pas être acceptés avec docilité. Les "réfractaires" partiront dans le maquis ou rejoindront une Résistance dont ils seront plus des courroies de transmission que des initiateurs. Néanmoins, comme en atteste la lettre du lycée Molière de Paris, Elisabeth Friang sera expulsée pour avoir gravé en classe « Vive de Gaulle » sur une petite croix en bois. Même inscription au bas de la statue de Louis XIV, place Bellecour, le 14 juillet 1943. Et même prise de risque pour ceux qui inventent une machine à distribuer des tracts sans leur présence avec une tapette à souris et une boite de conserve. Roland Dumas, alors envoyé avec ses camarades pour empêcher la tenue d'un concert du philharmonique de Berlin dans la salle Rameau en 1942 en fera usage et en témoigne dans l'un des quatre boxes encadrant la salle.

« Ma chère maman... »

Résister avait un prix. Quelques lettres manuscrites ou tapuscrites, déchirantes, rédigées par des condamnés dans leurs dernières heures disent à la fois leur amour pour leur famille et celui pour la patrie : « ce serait à refaire, je recommencerai ». Ces lettres de fusillés ont été maintes fois recopiées, lues par Schumann sur la BBC ou citées par Aragon (Strophes pour se souvenir), viatiques sinistres de la barbarie. Tout comme ce dessin d'une jeune femme morte et réalisé à l'hôpital afin de restituer aux familles le visage de leur disparue.

L'émotion, c'est une évidence, émane de ce parcours mais ne serait rien sans la recherche universitaire qui se déclinera sous forme de conférences durant les prochains mois et qui étaye une fois de plus la richesse de ce musée et son absolue nécessité.

Génération 40, les jeunes et la guerre
Au CHRD jusqu'au 26 mai


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