Utøya, 22 Juillet

Reconstitution en temps réel de l'attaque d'Utøya vue de l'intérieur et en plan-séquence, cette terrible et néanmoins superbe claque est portée par l'impressionnante Andrea Berntzen, qu'on suivra au-delà de ce film. Brut, mais surtout sans bavure.


22 juillet 2011, sur l'île norvégienne d'Utøya où se tient un camp réunissant de jeunes travaillistes, la nouvelle de l'attentat venant de toucher le quartier des ministères à Oslo est à peine digérée que des tirs retentissent : une attaque terroriste est en cours ! Katja tente de se mettre à l'abri…

C'est peu dire que l'on redoutait ce film. Car l'événement dont il s'inspire a traumatisé la société scandinave, laquelle a eu encore plus de mal à se remettre du procès du mégalomane extrémiste responsable des faits — ce dernier en profitait comme d'un piédestal pour vanter ses idées nauséeuses, avec force provocations narquoises. 

Comment, alors, évoquer cette journée funeste sans héroïser survivants, survivantes et martyres, sans donner du meurtrier une image qui le remplirait d'orgueil, ni coudre de fil blanc les pages du drame ? Trop de cinéastes omettent de se poser des questions basiques d'éthique, que les bons sentiments pas plus qu'une musique empathique ne résolvent. Faut-il mettre au crédit de la “rigueur protestante“ et pragmatique les choix opérés par Erik Poppe dans Utøya, 22 Juillet ? Ils se révèlent moralement, narrativement et esthétiquement inattaquables dans leur radicalité : le réalisateur ayant opté pour un unique plan-séquence marquant la durée de l'attaque, dans son oppressante continuité. Un parti-pris rappelant ceux de Paul Greengrass (lequel a justement signé avec Un 22 juillet sa propre version du drame mais ne vous étonnez pas de ne pas l'avoir vue en salle : elle est directement passée de la Mostra à Netflix).

Ceci n'est pas un survival

Et de même que les travellings sont affaire de morale, le plan-séquence exige autant de conscience et de droiture que de maîtrise spatio-temporelle. Excluant de fait une vision panoptique des faits, il ne doit pas viser la performance, mais permettre de raconter UNE histoire signifiante et digne du 22 juillet 2011. Celle de la fictive Katja, composée à partir de plusieurs autres bien réelle, cherchant sa sœur, fuyant de cachette en cachette, secourant des blessés, assistant une agonisante, rassurant ses proches, constitue une remarquable synthèse. Sa trajectoire croise une immense diversité de comportements et de situations… tout en nous renvoyant à notre propre conscience.

Le choix, enfin, par Poppe de laisser dans l'ombre le nom et la silhouette de la “menace“ sert la pudeur, autre rempart contre l'obscénité avec la qualité de l'interprétation. Une réussite.

Utøya, 22 Juillet de Erik Poppe (Nor, 1h33) avec Andrea Berntzen, Sorosh Sadat, Aleksander Holmen…


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