Un Misanthrope enragé

Encerclé par le public comme l'an dernier dans la version de Louise Vignaud, "Le Misanthrope" de Thibault Perrenoud bout d'intransigeance et offre un spectacle survitaminé et cohérent.


Créé en 2014, ce travail de la compagnie Kobal't arrive sur les planches de la Croix-Rousse après qu'un autre spectacle ait été inventé (La Mouette) par leurs soins. Mais le metteur en scène, Thibault Perrenoud, revient surtout là où l'an dernier il se faisait acteur dans Richard II. Son Misanthrope est résolument contemporain. La cour est transplantée dans une party matérialisée par quelques chips et cubis - et par le son. Avant même que les spectateurs ne soient assis, Chinese Man, The Pointers Sisters ou Deluxe (son featuring avec ASM) font sourire les plus jeunes et l'un des acteurs est déjà en mode clubbing.

Cette énergie est le fil conducteur d'une adaptation où tout se joue d'abord dans l'expression des corps. Des claques, une baston, des pas qui n'en sont pas mais flirtent avec la danse, la course, la gymnastique aussi parfois... tout est exagération. Marc Arnaud, en Alceste omniprésent, est presque victime de cette direction d'acteur trop en démesure mais peut-être fallait-il ce sur-régime de départ pour que s'offre sa profonde noirceur et que cela aille au-delà d'un texte ciselé. Il y a quelque chose de viscéral dans sa misanthropie et ce corps qui semble le brûler - quand il parle ou qu'il observe les autres - et il en atteste tout au long de ces presque deux heures.

Pas de grâce pour la nature humaine

Aux alexandrins de Molière respectés par le metteur en scène, des clins d'œil à l'époque ont été ajoutés. Ainsi est-il question de Jean-Michel Jarre, de digression sur le milieu du théâtre (avec la condamnation des acteurs à poils)... Pour la romancière Alice Zeniter (ah, son impeccable Juste avant l'oubli !), dramaturge ici, il s'agit dit-elle joliment de « texte déchet ». Elle n'en fait ainsi pas l'axe de sa lecture de la pièce. Simplement, cela se raccorde à l'époque qui s'entend et se voit aussi (pull hipster et jean moulant porté sur escarpins vernis).

Fortement influencé par Vincent Macaigne ou les D'Ores et déjà de Sylvain Creuzevault, formé au Conservatoire National Supérieur de Paris, Perrenoud sait insuffler à cette pièce trop jouée une vitalité indubitable, grâce notamment à une troupe de comédiens très à l'aise qui furètent entre les spectateurs – le plateau nu et rabougri les invitant à déambuler partout. Ce Misanthrope jusqu'au-boutiste porte sa déception comme un étendard et claque la porte quand la société des humains parvenus retient sa belle Célimène. Le marasme du pouvoir tient toujours débout au XVIIe comme au XXIe siècle.

Le Misanthrope,
Au théâtre de la Croix-Rousse jusqu'au 18 janvier


<< article précédent
La Galaxie Joël Pommerat