Doubles Vies

De Olivier Assayas (Fr, 1h48) avec Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne…


Dirigeant avec pugnacité et passion une maison d'édition, Alain s'interroge. Sur ses publications — il vient de refuser l'énième opus de son ami nombriliste Léonard —, sur l'évolution de son métier à l'heure du numérique, sur le couple qu'il forme avec Séléna, une comédienne de série…

Bonne nouvelle : après l'éprouvant Personal Shopper, Olivier Assayas a tourné la page pour évoquer en français deux sujets on ne peut plus hexagonaux : les chassés-croisés amoureux et le milieu du livre — deux passions tricolores qui se croiseront prochainement à nouveau dans Le Mystère Henri Pick de Rémi Bezançon. L'approche est habile, car on ne sait en définitive s'il s'agit d'une réflexion profonde sur les mutations des industries culturelles (s'apprêtant, après avoir glissé du monde des lettres à celui des chiffres, à basculer dans celui, binaire, de la digitalisation) passée en contrebande dans une comédie entomologique de mœurs germanopratine, ou bien du contraire. Seuls des archétypes de parisiens peuvent se livrer à ces petites joutes verbales, amoureuses et professionnelles, frayant dans les mêmes cercles et partageant (sans le savoir, évidemment) les même couches.

Comme chez Sautet, les personnages de Doubles Vies, quadras hâbleurs installés et sûr d'eux en apparence, révèlent sous l'écorce une insondable fragilité. Leurs désarrois intimes se superposent à leur incompréhension du monde en mutation : Canet, en éditeur perdu dans la jungle des audio- et e-book, n'est-il pas comme le Montand dépassé par un dessinateur de BD de César et Rosalie ou cette troupe de bourgeois se découvrant fossilisés autour d'un gigot dans Vincent, François, Paul et les autres ? La fantaisie est amère, mais possède de ce fait un charme véritable.


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Olivier Assayas : « le cinéma est fait pour poser des questions, pas pour donner des réponses »