Molière, un maître ausculté


Georges Forestier a fait table rase. Et repris toute la vie de Jean-Baptiste Poquelin, aka Molière, du début, expurgeant les légendes, ne cherchant pas obligatoirement à combler les vides que nous ont laissé le manque d'archives et de témoignages, reconsidéré les sources - les fondus du roi du comique ayant de longues années durant épluché les registres municipaux et autres pour retrouver trace de baptèmes d'enfants des comédiens de la troupe, de représentations en province - à commencer par Lyon, ville de prédilection de la troupe avant son installation à Paris - ou encore d'invitations à la Cour pour permettre à l'historien de rayer des mémoires les rumeurs peu crédibles propagées par Grimarest, le premier à s'être penché sur la vie de Molière dès 1705, dont l'ouvrage servit de base à une large partie des travaux ultérieurs - dont le célèbre film Molière d'Ariane Mnouchkine (1978, avec Philippe Caubère).

Forestier, déjà auteur d'une somme biographique sur Racine, récidive et fait ici un travail d'orfèvre, des débuts calamiteux de l'Illustre Théâtre à la révélation de L'École des Femmes, qui traduit enfin en une comédie en cinq actes le génie créatif de Molière, adaptant les thèmes sociaux débattus alors dans les salons mondains (les relations amoureuses comme la place de la femme) tout en empruntant autant à la comédie espagnole qu'à la comedia dell'arte italienne, magnifiant l'ensemble d'un jeu comique tout en grimaces performé par Molière lui-même, lui permettant de rendre plus grivois qu'ils ne peuvent le paraître au premier abord les vers à double sens écrits par ses soins.

Du travail pointu et chirurgical réalisé par Georges Forestier, s'opère principalement la séparation de Molière des rôles qu'il a écrit, qui ont trop souvent influé par le passé sur ce que l'on a pensé être à tort autobiographique ; ainsi, l'historien plonge dans de nouvelles sources plus vastes, incluant le corps théâtral de l'époque, pour mieux discerner les thèmes et inspirations piochés chez ses contemporains. Passionnant : à lire comme un roman.

Georges Forestier, Molière (Gallimard)


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