« Le film parle d'un voyage, il en est aussi un pour moi »

En dédiant YAO à leurs pères respectifs, Philippe Godeau et Omar Sy insistent sur l'importance de la question de la transmission et des racines se trouvant au cœur du film. Retour sur ses origines en compagnie du scénariste-réalisateur et du comédien.


Vous êtes tous deux coproducteurs. Autrement dit, votre implication est double puisqu'elle va au-delà de l'investissement artistique. Pourquoi spécifiquement sur ce film ?
Philippe Godeau
: Omar, c'est l'acteur numéro 1. En faisant un film en Afrique, au Sénégal, j'avais l'envie de partager une expérience, le voyage… Je savais en plus qu'il avait une envie de produire et je trouvais que c'était bien de faire ce voyage à deux. Comme je suis un vieux producteur et un jeune metteur en scène ; qu'Omar est un acteur d'aujourd'hui et novice en production (sourire), je lui ai proposé… 

Omar Sy : Et j'ai accepté ! Le fait qu'il me laisse cette place, cette chance même, j'ai accepté parce que l'envie de partager quand on est producteur est rare. Avoir ce partage était intéressant : le film parle d'un voyage, il en est aussi un pour moi ainsi que l'aventure avec Philippe : c'est la première fois que je participe à des discussions sur la manière dont on fait, on réfléchit un film, comment on le prépare, on le tourne, on le monte. Et le voyage n'est pas terminé ! Du coup, mon implication et ma réflexion n'étaient pas les mêmes. J'y ai mis autre chose.

PG : Il fallait que les choses aient un sens et c'était le cas. Après, on s'était dit que s'il y avait un problème ou une question, on en parlerait et qu'il resterait acteur sur le plateau, tout en conservant notre rapport de confiance. Ensuite, concernant l'aspect production, il y avait deux façons de faire ce film : ou bien l'on arrivait avec nos camions en traversant le pays, d'une façon autonome, indépendante ; ou bien on avait l'envie de partager, de faire une équipe qui soit majoritairement sénégalaise, et de tourner dans la continuité pour se fondre dans le temps du voyage. C'est ce que nous avons fait.

Votre personnage se fait traiter de “Bounty“, c'est-à-dire noir dehors, blanc dedans…
OS
: Être traité de Bounty, c'est une insulte. J'aime cette scène parce qu'elle montre à quel point ce n'est pas évident, ni agréable d'entendre ces trucs de préjugés et d'étiquettes. Ça raconte quelque chose d'assez nouveau que l'on ne sait pas forcément quand on ne le vit pas : quand on est d'origine étrangère et qu'on retourne dans le pays d'origine, on peut aussi subir du racisme.

Les binationaux sont exposés au racisme dans leurs deux pays. 

Aviez-vous éprouvé le besoin de ce voyage vers vos racines avant qu'on vous propose le film ?
OS
 : J'ai eu la chance de le vivre avant. J'allais souvent au Sénégal jeune, mais j'ai fait un voyage important avec mon père à l'âge de 19 ans, où l'on a traversé le pays en voiture. Ce voyage m'a complètement modifié : il a dessiné dans les grandes lignes la personne que je suis aujourd'hui. Mon père a été plus précis sur qui il était, sur l'histoire de notre famille, sur les endroits de ce pays qui lui étaient chers, ses rencontres. C'était important, en fait. Je m'en suis rendu compte après l'avoir vécu. Ce film y fait évidemment un petit peu référence, et j'en avais parlé avec Philippe durant la préparation. Après le tournage, j'ai refait le voyage avec mon père et mon frère, qui n'était pas là il y a vingt ans. Mais dans l'autre sens : à 19 ans, on était partis du village de ma mère en Mauritanie pour Dakar, là on est partis de Dakar. C'était très chouette.

Yao est teinté d'une forme de spiritualité…
PG
 : Elle est partout. La scène de la prière du début n'était pas écrite. Quand j'étais en préparation, je me suis retrouvé réellement coincé et j'ai eu la chair de poule. J'ai voulu essayer de le refaire. On a tourné pendant la prière du vendredi. C'est fou la façon dont Omar a baissé la tête inconsciemment dans cette scène, sans qu'on se soit parlé.

OS : C'est plus le personnage que moi. Ce personnage est dans une sorte de quête, il ne sait même pas ce qu'il cherche, on sent bien qu'il lui manque des choses, il est dans un rythme de vie assez intense. Il sort de l'avion, on lui liste ses rendez-vous ; à peine a-t-il mis le pied hors de son avion qu'il est tiré par les obligations. Et la première chose qui lui arrive, c'est qu'on lui dit stop, arrête-toi, tu n'as pas le choix, réfléchis, interroge-toi ; vois ces gens qui s'arrêtent. Juste le fait de s'arrêter, qu'est-ce que ça peut faire…

Êtes-vous revenu différent de ce tournage ?
OS
 : Bien sûr, il y a toujours des choses qui sortent de ces choses-là. Le fait que ce film existe, il y a une vraie satisfaction, une vraie fierté que les gens le voient. Et l'envie après de faire d'autres choses dans ce sens. C'est important d'avoir rencontré des acteurs et techniciens sénégalais. Sur le plan personnel, je me suis rappelé à quel point ça me faisait du bien d'aller au Sénégal. 

Quel rapport entretenez-vous avec le cinéma africain et sénégalais ?
OS
 : Le cinéma africain, je n'en vois pas beaucoup. À part depuis le tournage. Auparavant, je n'avais jamais pu avoir de discussion avec un cinéaste africain ; Yao a ouvert cela. Peut-être qu'ils pensaient que c'était loin de moi et que je n'en avais aucune envie. Je commence un petit peu à en rencontrer. Sinon, il y a eu Tombouctou, et La Pirogue qui m'ont aidé pour préparer Samba

Alors, à quand un autre film au Sénégal ?
OS : On verra. Je vais attendre que celui-là sorte, déjà (rires).


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