Sorry To Bother You

Quand une entreprise de télé-marketing prolifère sur une traite humaine d'une genre nouveau… Pour son premier long-métrage bouillonnant d'inventivité formelle, le rappeur Boots Riley imagine un bizness no limit dans un société jumelle de la nôtre. Allô, quoi…


Cassius vit dans le garage de son oncle, accumulant les échecs sans gloire. Son destin change lorsqu'il commence à travailler pour une plateforme d'appels : il se découvre alors un pouvoir de conviction qui lui fait grimper les échelons. Mais cette ascension a un prix moral et personnel…

À la lointaine époque où il ne se prenait pas encore trop au sérieux, Spike Lee aurait pu réaliser un film de cette trempe, empli d'un désir si intense de cinéma qu'il ne se prive d'aucune expérimentation, saute de genre en genre pour ne pas être réduit à une catégorie. Démarrant comme une gentillette comédie suburbaine entre potes fauchés, Sorry to Bother You glisse rapidement vers une satire corrosive, sans jamais perdre sa fantaisie ni sa capacité à se renouveler : le fantastique s'insinue à la Gondry, comme une astuce esthétique, avant de devenir une composante de fond de l'intrigue.

Raccrochez, c'est une horreur 

Se déploie alors une puissante fable métaphorique pour temps de crise généralisée, une sorte d'extrapolation à peine dystopique de notre société capitaliste, laquelle, après avoir réduit à la misère les prolétaires, trouverait encore moyen de tirer des bénéfices de ce qui leur reste — la pleine jouissance de leur corps — en les asservissant. Ce néo-esclavagisme labellisé libéral, parfumé à la manipulation génétique, ne paraît même pas déraisonnable dans ce tableau global de la naïveté et du cynisme contemporains, où rien ne vient entraver la toute puissance des entreprises : l'activisme syndical finit la gueule en sang dans le caniveau. Riley décrit une fabrique du consentement et du conditionnement assez proche de celle brossée jadis par Carpenter dans le génial Invasion Los Angeles, et va plus loin à tous points de vues que le surévalué Get Out de Jordan Peele, aux thématiques connexes : l'über-exploitation de la misère.

À ce coup d'essai maîtrisé du réalisateur il faut associer sa distribution : outre le charmant couple Lakeith Stanfield/Tessa Thompson, Armie Hammer (ici en patron satanique) continue de montrer l'étendue de sa gamme, Danny Glover balance une des ses répliques cultes ; quant à Steven Yeun, après Burning, il renoue avec un rôle de manipulateur s'insinuant sans vergogne dans une relation amoureuse. Apparemment, ça ne le perturbe pas de déranger…

de Boots Riley (É-U, 1h51) avec Lakeith Stanfield, Tessa Thompson, Armie Hammer…


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