La Favorite

Deux intrigantes se disputent les faveurs de la cyclothymique Anne d'Angleterre afin d'avoir la mainmise sur le royaume… Une fable historique perverse, où Olivia Colman donne à cette reine sous influence un terrible pathétique et Lánthimos le meilleur de lui-même.


À l'aube du XVIIIe siècle. La Couronne d'Angleterre repose sur la tête d'Anne. Sans héritier malgré dix-sept grossesses, maniaco-dépressive, la souveraine se trouve sous la coupe de Sarah, sa dame de compagnie et amante (par ailleurs épouse de Lord Marlborough, le chef des armées), laquelle en profite pour diriger le royaume par procuration. Lorsque Abigail, cousine désargentée de Sarah arrive à la cour, une lutte pour obtenir les faveurs de la Reine s'engage…

Demandez à Shakespeare, Marlowe, Welles, Frears, Hooper… La royauté britannique constitue, plus que tout autre monarchie, une source inépuisable d'inspiration pour la scène et l'écran. Au-delà de la fascination désuète qu'elle exerce sur son peuple et ceux du monde, elle forme en dépit des heurts dynastiques une continuité obvie dans l'Histoire anglaise, lui permettant de s'incarner à chaque époque dans l'une de ses figures, fût-elle fantoche. Telle celle d'Anne (1665-1717). Son humeur fragile la fit ductile, favorisant un jeu d'influences féminin inédit que La Favorite raconte sans trop trahir l'authenticité des faits, dans ses nuances perfides et perverses. 

Femmes of Thrones

Il n'est guère étonnant que Lánthimos se soit emparé d'un tel sujet en parfaite résonance avec ses obsessions pour les sociétés autarciques déviantes et les prises de pouvoir vicieuses. Racontant de tortueuses manigances entre couloirs et alcôves du trône, ce film lui permet en outre d'assouvir son penchant pour les distorsions d'images, les optiques anamorphosées et les jeux de pénombre : le cadre exubérant de la cour semi-décadente de l'époque s'y prête davantage que les contextes vaguement contemporains ou dystopiques dont il était coutumier.

Jusqu'à présent singulièrement proche de l'esthétique du cinéma britannique des années 1970 (en particulier de Nicolas Roeg pour The Lobster et Mise à mort du cerf sacré), Lánthimos se rapproche ici stylistiquement du Kubrick de Barry Lyndon, auquel se serait greffée la cinglerie visuelle d'Orange mécanique. De quoi emballer les votants de l'Académie des Oscar, qui adorent récompenser les vrais-faux remakes célébrant indirectement la gloire passée d'Hollywood (The Artist, La La Land...) et accessoirement des œuvres à message politique. Son évidente lecture féministe lui confère une dimension supplémentaire, dans ce contexte où la gent masculine n'apparaît globalement que sous une masse emperruquée indistincte et incapable…

La Favorite de Yórgos Lánthimos (É-U-G-B-Ir, 2h) avec Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz…


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