L'œil écoute

Si ce n'est en fanfare, c'est en tout cas en musique qu'Isabelle Bertolotti débute sa nouvelle programmation au Musée d'Art Contemporain, avec un ensemble d'expositions consacré aux liens entre sons et arts plastiques.


« Sans la musique, la vie serait une erreur » disait Nietzsche. Prendre la musique, et plus largement le son, comme thématique pour ses premières expositions à la tête du MAC, est une idée plutôt revigorante de la part d'Isabelle Bertolotti. Ça bruisse, ça tinte, ça "drone", ça chante, ça pianote à tous les étages du musée, et toute cette rumeur donne une vitalité et une énergie de bon aloi pour le nouveau virage pris par le musée... Au premier étage, c'est l'œuvre de David Tudor (1926-1996) Rainforest V (Variation 2), récemment acquise, qui est mise en avant. En 1965, ce compositeur américain proche de John Cage tente d'attribuer une voix aux... objets ! Après plusieurs tentatives décevantes, c'est auprès de l'armée américaine qu'il trouve le matériel adéquat pour sonoriser divers objets et utiliser le tout pour la pièce chorégraphique de Merce Cunningham, Rainforest. Ce projet, David Tudor l'a retravaillé toute sa vie ou presque, en livrant différentes versions, avec toutes sortes d'objets suspendus (tuyaux, tubes, boules, cerceaux...) et affublés de sources sonores diffusant cris d'oiseaux, pluie, vent, craquements...

Concerto pour bocaux vides

Autour de cette installation traversant les frontières de la musique et des arts plastiques, le MAC présente un grand nombre d'œuvres de sa collection alliant son et création artistique, avec deux grandes veines d'influence : les expérimentations et le goût du hasard de John Cage, le minimalisme et la recherche d'un son infini de La Monte Young... Dans un clair-obscur savamment dosé par l'artiste, l'une de ces œuvres les plus fortes est signée Alvin Lucier. On y voit plusieurs bocaux de différents volumes surmontés chacun d'un micro. Une musique étrange et un peu inquiétante parvient derrière nous, entremêlant les bruits des micro-résonances qui se produisent dans les récipients vides et des mouvements de l'air induit par les déplacements des visiteurs. Troublant concerto du vide !

Le deuxième étage du MAC est bien rempli par les immenses et nombreuses toiles sur bâches du jeune artiste brésilien Maxwell Alexandre (né en 1990), qui inaugure sa première exposition personnelle en France. Après une dizaine d'années passées dans l'univers professionnel du roller, Maxwell Alexandre s'est lancé dans la peinture, tentant d'y déployer à la fois une poésie et une sociologie urbaine, représentant l'énergie comme les violences de la société brésilienne, ses différents traits culturels, ses minorités, ses modes de vie au quotidien... L'accrochage est particulièrement dynamique et surprenant, plein d'échos narratifs ou plastiques, et permet aussi au spectateur de regarder certaines toiles en écoutant en même temps, au casque, un morceau de rap brésilien qui a accompagné et/ou influencé la composition de l'œuvre.

Un opéra pour soi

Au dernier étage, les choses deviennent un tantinet plus cérébrales avec l'exposition monographique consacrée à Tal Isaac Hadad. Né en 1976, multidiplômé, l'artiste français travaille sur les déviations des sources sonores, les métamorphoses possibles du son. Exemple : des interprètes lyriques dont les improvisations a capella connaissent certaines variations et inductions alors qu'ils sont massés par des kinésithérapeutes (série de performances intitulées Récital pour masseur dont on peut voir des vidéos au MAC et qui seront aussi jouées live certains samedis). L'artiste présente encore deux pianos aux octaves réduites pour de très grosses touches noires et blanches, invitant des pianistes professionnels à revisiter et réinterpréter, de manière "contrainte", leur répertoire. Surtout active le samedi avec ses différents lives, cette exposition de Tal Isaac Hadad promet encore une belle expérience au visiteur : un duet d'opéra pour un seul visiteur, plongé dans le noir dans une petite salle. Deux chanteurs interprètent un duet d'opéra tout en se rapprochant peu à peu de l'auditeur, et jusqu'à chuchoter à proximité de ses oreilles...

Sounding new (œuvres de la collection du MAC) + Maxwell Alexandre
Au Musée d'Art Contemporain jusqu'au 7 juillet

Tal Isaac Hadad
Au Musée d'Art Contemporain jusqu'au 28 avril


<< article précédent
Saison Patrimoine