Du blanc dont on fait le noir : la Littératür Nørdik å Quais du Polar

Aux cucarachas et mariachis, Quais du Polar préfère l'ambiance banquise-soleil de minuit pour célébrer sa Quinceañera. Le festival craindrait-il qu'on manque de frissons et de sueurs froides ?


L'année 2005 est doublement importante pour le polar. Elle a en effet vu apparaître Mikaël Blomkvist, le héros de la saga Millénium faisant naître un engouement inédit pour les littératures noires suédoise, scandinave et plus largement nordiques. La disparition prématurée de Stieg Larsson — en 2004, avant même la publication des romans — ne fit qu'aiguiser cette appétence. La nature ayant heureusement horreur du vide, le goût pour l'hémoglobine frappée et les paysages givrés que les lecteurs du monde entier s'étaient découvert fut vite assouvi : Henning Mankell, Camilla Läckberg, Arnaldur Indriðason, Jo Nesbø, la paire Lars Kepler, David Lagerkrantz (entre autres) avaient profité de la brèche dans l'igloo pour faire entendre leur voix. Toutes ces autrices et ces auteurs ont en outre bénéficié de l'incomparable caisse de résonance constituée par Quais du Polar, également né en 2005 mais à 45° du Pôle Nord : à Lyon.

Lyon. Ces quinze années de compagnonnage avaient toute légitimité à être célébrées conjointement ; aussi, le premier contingent de plumes étrangères de cette édition 2019 provient-il du Septentrion européen : Suède, Finlande, Islande, Danemark, Norvège. Petit florilège de quelques-unes de ces illustres visiteuses — notez au passage que dans le genre polar, le genre féminin l'emporte souvent sur le masculin…

Îles et Elles

Le prénom prédestinerait-il à la littérature de genre en Suède ? Venue au polar il y a dix ans en collaboration avec sa sœur Åsa Treiff, Camilla Grebe s'est depuis affranchie, signant coup sur coup trois romans policiers qui, s'il se ne se suivent pas “formellement“, mettent en scène des personnages de flics dont les évolutions personnelles participent grandement de l'intrigue en lui conférant un supplément d'épaisseur et d'humanité. Présente à Quais du Polar l'an passé pour Un cri sous la glace, traversé par des problématiques géopolitiques fortes — notamment la question de “l'accueil“ des vagues de réfugiés en Suède à travers l'histoire récente —, elle revient avec le polyphonique L'Ombre de la baleine (Calmann-Lévy), où l'on croise trois empires redoutables : ceux de la drogue, de l'Église et des réseaux sociaux. Ainsi que des cadavres à la pelle, bien sûr…

Autre star suédoise, Viveca Sten. La créatrice du duo Thomas Andreasson/Nora Linde, héros de la série de romans adaptés pour la télévision sous le titre Meurtres à Sandhamn (du nom de la petite île où se déroulent toutes les affaires élucidées par le policier et son amie avocate depuis La Reine de la Baltique,  Albin Michel) ne manquera pas d'expliquer en quoi l'insularité dont elle raffole est à ce point criminogène. Une insularité au centre de la littérature noire islandaise, dignement représentée par Ragnar Jónasson (La Dame de Reykjavik, La Martinière) et Yrsa Sigurðardóttir (ADN, Actes Noirs). Pour les deux auteurs, leur pays d'origine constitue à lui seul une sous-trame autant qu'une inspiration : par son histoire et sa géographie humaine autant que physique. Ainsi que la question de la filiation, cruciale dans une île de 350 000 âmes à peine, où le patronyme découle littéralement du prénom du père. 

Retour en Scandinavie avec le Norvégien Jørn Lier Horst, dont L'Usurpateur (Série Noire) rappelle en arrière-plan l'incontournable voisinage Suède-Danemark-Norvège ainsi que “l'inter-opérabilité“ des langues : nombreux sont les ponts (et les ferrys) entre les pays, qui partagent outre des coutumes et de la neige, parfois quelques serial-killers. Norvégienne également tout aussi habituée aux étendues blanches, la glaciologue Monica Kristensen reconvertie dans le polar raconte d'ailleurs dans L'Expédition (Gaïa), entre deux morts suspectes, les merveilles des régions arctiques… et les dangers qu'elles réservent aux orgueils démesurés. 

Même si ses intrigues se situent au Groenland, si son amour pour les icebergs fourrés aux cadavres et l'exotisme de son pseudonyme incitent à intégrer Mo Malø parmi cette prestigieuse liste, on s'en défendra — à regret. Car l'auteur de Qaanaaq et de sa suite Diskø (La Martinière) est tout ce qu'il y a de plus hexagonal. Et d'ailleurs, il se montre entre les lignes assez goguenard quant à l'explosion des auteurs nordiques. Règlements de comptes à venir ? À suivre à Quais du Polar…

Quais du Polar
Au Palais de la Bourse et dans tout Lyon
 
​du 29 au 31 mars


<< article précédent
Paris est une quête : "Synonymes"