Low fidelity

Pour ses 25 ans, Low, chef de file de la scène slowcore a renversé la table pour produire Double Negative, un disque déroutant qui semble déconstruit autant qu'il concentre en les poussant à l'extrême toutes les expérimentations égrenées au fil de sa discographie.


Il arrive souvent qu'entre amateurs de musique la question suivante fuse : « tu me conseillerais quel album pour découvrir Green Fiction in the Shadow (nom de groupe non contractuel) ? ». Ce à quoi le questionné dégaine, sûr de lui, un truc du genre : « le mieux c'est de commencer par It's me who did it (titre non contractuel), c'est le plus abordable ». Si l'on nous posait ladite question concernant le Low d'Alan Sparhawk et Mimi Parker, on serait bien en peine de répondre – ou alors la réponse serait à choix multiple – mais une chose est sûre, on ne conseillerait a priori pas le dernier disque en date du couple de Duluth, Double Negative.

Un disque à la fois trop perché et spectaculairement éloigné de cette institution du courant slowcore, genre quasiment inventé si ce n'est par eux, du moins pour eux, charriant un folk rock doux-amer, se pelotonnant au ralenti au creux d'une atmosphère ouatée. C'est pourtant un disque remarquable et impressionnant qui dit beaucoup de Low, mais en creux uniquement. La chose s'adresse de préférence à un public averti – ce qui est bon pour les ventes, si l'on part du principe qu'il en vaut deux –, fin connaisseur de la geste lowienne.

Grand destructeur

Car tout se passe ici comme si Low avait choisi de radicaliser et de concentrer toutes les innovations saupoudrées ça et là de manière imperceptible – le recours à l'électricité, à l'électronique, les expérimentations sur la voix et sa manière de l'enregistrer – au moment même où il décidait de jeter un voile sur (presque) toute velléité mélodique – comme semblent loin la sublime berceuse qu'était Try to sleep sur C'mon (2011) ou les tentations indie rock de The Great Destroyer (2005). Ou du moins de nous le faire croire, et de se le faire croire, pour explorer plus librement sons et atmosphères, jouer avec la matière autant que la manière, dans une forme retranchée d'abstraction.

Mais le fait est que lorsqu'on se repasse, au ralenti forcément, la discographie de Low, tout Double Negative y est en réalité déjà en germes. Et le disque ne serait alors qu'une suite plus aboutie de Ones and Sixes (2015), un écho pas si lointain à Drums and Guns (2007), évidence que le souvenir prégnant des disques plus "classiques" du groupe a peut-être effacée. Mais aussi surtout, et jusque dans son titre, la bande-son appropriée d'un monde – le nôtre – qui n'attend que d'être en cendres pour, peut-être, renaître. Comme un commencement par la fin qui ferait de Double Negative à la fois le disque le plus représentatif de Low et la dénégation même de cette représentativité.

Low
À l'Épicerie Moderne le mercredi 3 avril


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Sur les rails