Livres et destins

Le Musée de l'Imprimerie nous invite à une BibliOdyssée, avec l'exposition de cinquante histoires de livres sauvés. Une odyssée à travers les livres, comme à travers l'Histoire et la géographie.


Depuis trois ans qu'ils travaillaient sur leur projet d'exposition, Joseph Belletante (directeur du Musée de l'Imprimerie) et son équipe n'ont cessé de découvrir des histoires, cocasses ou dramatiques, de livres qui disparaissent, et de livres retrouvés ou sauvés... Plus d'une centaine d'histoires au total que, pour l'exposition au musée et le livre qui l'accompagne, ils ont choisi de réduire à une cinquantaine de récits concernant un manuscrit en particulier, une personne "sauveuse", une bibliothèque entière, etc. Certains sont très connus, tel celui de Max Brod, l'ami de Kafka, qui refusa finalement d'accéder à sa demande testamentaire de brûler ses manuscrits. Mais l'exposition et le livre poussent plus loin les ramifications du cas Max Brod avec des démêlées ultérieures avec les héritiers de Max Brod à propos du fonds Kafka...

« Le défi était d'abord de ne pas se cantonner à une période ou un pays, de faire appel aux mémoires sans pour autant composer une atmosphère trop sombre ou seulement historique, mais aussi de fêter le geste de "porter secours" dans une civilisation où celui-ci interroge, fait débat. Nous avons ainsi rassemblé cinquante ouvrages et documents, évoquant chacun de nombreux personnages, des intrigues étonnantes, souvent méconnues, de véritables Odyssées à découvrir » précise Joseph Belletante.

Les anges de la boue

Divisée en quatre grands chapitres, l'exposition se penche successivement sur les catastrophes naturelles ou humaines (guerres notamment) ayant entraîné la disparition de livres, la censure et la mise à l'index, les conséquences de l'exil, et, dans une sorte de pirouette, les livres qui sauvent leurs auteurs et leurs lecteurs, ou qui se sauvent entre eux.

La circulation au sein des salles est très agréable et aérée et si, évidemment, beaucoup de livres sont présentés, l'exposition est agrémentée de nombreuses photographies d'archives, de vidéos (interviews), d'illustrations signées Yann Damezin et réalisées pour l'occasion. On picore ici quantité d'anecdotes et l'on voyage dans l'espace et dans le temps : de la première encyclopédie écrite par une femme au XIIe siècle (Le Jardin des délices de l'abbesse Herrade de Hohenbourg) au manuscrit de Vie et destin de Vassili Grossman arrêté par le KGB en 1961 (c'est véritablement le manuscrit qui est arrêté, car son auteur, lui, ne l'a pas été), de la bibliothèque de Florence sauvée des eaux et de la boue par des centaines de volontaires (qu'on dénommera "les anges de la boue") aux manuscrits de Mossoul arrachés à Daech par un prêtre, le Père Najeeb...

L'éboueur-bibliothécaire

L'histoire la plus cocasse et la plus inattendue se passe à Bogota à la fin des années 1990... José Alberto Gutierrez, éboueur de son métier, sauve un jour des poubelles un exemplaire d'Anna Karénine de Tolstoï, puis deux, puis trois, puis... quelque 25 000 ouvrages qu'il entasse chez lui pour constituer une véritable bibliothèque publique. Ses compatriotes colombiens peuvent venir y lire et y emporter des livres, et d'innombrables donations viennent maintenant enrichir ce fonds constitué par un conservateur improvisé. Celui qu'on appelle en Colombie "Le Seigneur des Livres" est devenu une figure médiatique et populaire dans son pays. Et il aurait vraisemblablement inspiré en 2018 les 700 éboueurs de la ville de Cankaya en Turquie qui ont rassemblé quelque 4000 livres dans une usine désaffectée, aujourd'hui bibliothèque publique. Au-delà de la générosité et de la beauté du geste, on peut voir dans ces deux histoires une certaine force de résistance de l'objet livre à l'heure de la dématérialisation du texte et du tout numérique.

L'odyssée des livres sauvés
Au Musée de l'Imprimerie et de la Communication Graphique jusqu'au 22 septembre 

BibliOdyssées, 50 histoires de livres sauvés (Éditions Imprimerie Nationale)


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