Fils de Pan


C'est une musique – faite de flûte, de haut-bois marocain, de percussions et de gambri (un luth à trois cordes) – dont on dit qu'elle peut guérir et que l'ont vient écouter comme on vient recevoir une bénédiction. Cette bénédiction, les Master Musicians of Jajouka, du moins leurs ancêtres, la reçurent eux-mêmes de Sidi Ahmed Sheik, venu de l'Est pour répandre l'Islam au Maghreb aux alentours de l'an 800. L'origine de leur art remonte pourtant à une légende racontant qu'il fut révélé à un ancêtre des Attar par le Dieu Pan, autrement appelé Boujeloud.

Et c'est bien à la croisée de la musique religieuse et du paganisme ; du folklore berbère et des traditions arabes d'influence égyptienne ; de la mystique soufi et de rites chamaniques que le mythe Jajouka a traversé les siècles et, à l'époque moderne, les genres, tradition ancestrale se fondant dans l'avant-garde. C'est d'ailleurs d'une avant-garde qu'est né dans les années 50 l'intérêt pour Jajouka, sous l'égide des grands amateurs d'états seconds qu'étaient les beatniks William Burroughs et Brion Gysin, lorsqu'ils dérivaient à Tanger. Au sujet de cet art hypnotique de la répétition qui évoque l'éternité, ce dernier confia alors au compositeur et écrivain Paul Bowles, auteur d'Un thé au Sahara : « c'est la musique que je veux écouter pour le reste de ma vie ».

Puis c'est Brian Jones qui révélera au monde occidental peu avant sa mort l'existence du groupe avec Brian Jones presents The Pipes of Pan at Jajouka. Au fil des ans, les plus grands musiciens rock et jazz se presseront aux portes du village : les Rolling Stones, Bill Laswell, Maceo Parker, Jimmy Page et Robert Plant, le DJ Talving Singh, Lee Ranaldo de Sonic Youth et surtout Ornette Coleman qui deviendra un intime de la famille Attar – Bachir et ses musiciens mèneront la procession aux obsèques du jazzman. Même Hollywood utilisera cette musique définitivement entrée dans la pop culture mais dont les secrets ancestraux restent impénétrables.


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Master Musicians of Jajouka : « notre musique finira par mourir »