L'Adieu à la nuit

Une grand-mère se démène pour empêcher son petit fils de partir en Syrie faire le djihad. André Téchiné se penche sur la question de la radicalisation hors des banlieues et livre avec son acuité coutumière un saisissant portrait d'une jeunesse contemporaine. Sobre et net.


Printemps 2015. Dirigeant un centre équestre, Muriel se prépare à accueillir Alex, son petit-fils en partance pour Montréal. Mais ce dernier, qui s'est radicalisé au contact de son amie d'enfance Lila, a en réalité planifié de gagner la Syrie pour effectuer le djihad. Muriel s'en aperçoit et agit…

Derrière une apparence de discontinuité, la filmographie d'André Téchiné affirme sa redoutable constance : si le contexte historique varie, il est souvent question d'un “moment“ de fracture sociétale, exacerbée par la situation personnelle de protagonistes eux-mêmes engagés dans une bascule intime — le plus souvent, les tourments du passage à l'âge adulte. Ce canevas est de nouveau opérant dans L'Adieu à la nuit, où des adolescents en fragilité sont les proies du fondamentalisme et deviennent les meilleurs relais des pires postures dogmatiques.

Grand-mère la lutte

Sans que jamais la ligne dramatique ne soit perturbée par le poids de la matière documentaire dont il s'inspire, L'Adieu à la nuit révèle l'effrayante virtualité dans laquelle évoluent les jeunes candidats au sacrifice : ils ne fréquentent pas les lieux de culte, se marient en ligne… Tout est fait pour les maintenir dans l'isolement, la paranoïa ; la religion devenant un prétexte ductile, qui s'adapte aux circonstances — voler est un péché, sauf si l'on vole un infidèle ; fumer est proscrit, sauf si l'on fume “moins“ par habitude de sa vie d'avant, etc.

Téchiné a donc ici travaillé à chaud sur un sujet brûlant, en resserrant le cadre autour de ses protagonistes tout en se passant d'un attirail explicatif superflu : les faits apparaissent bruts et limpides ; ils rendent compte du climat ambiant, et ses personnages sont représentatifs d'une jeunesse privée de repères ou d'attaches — des roseaux ballottés par le vent du moment —  tandis que la génération des grands-parents — les chênes — se trouve a contrario totalement bien ancrée dans le sol. Et paradoxalement, c'est Muriel, forcée d'aller au conflit contre Alex pour l'empêcher de partir mourir en Syrie, qui va mener le combat le plus acharné en usant de tous les moyens, intellectuels ou coercitifs. Elle accomplit de fait, un djihad, au sens propre du terme : une lutte acharnée. 

L'adéquation entre le cinéaste et son interprète-fétiche, mais aussi la justesse de la jeune distribution, contribuent à l'équilibre de ce film à la force et la tension constante, à placer à proximité de l'excellentissime Cow-boys de Thomas Bidegain.

L'Adieu à la nuit de André Téchiné (Fr-All, 1h43) avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra…


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