La fin justifie les grands moyens : "Avengers : Endgame"

Les Avengers s'unissent pour défaire l'œuvre destructrice de Thanos. Après un "Infinity War" en mode “demande à la poussière“, ce "Endgame" boucle (quasiment) par un grand spectacle philosophique la troisième phase de l'Univers cinématographique Marvel.


Après que Thanos a, grâce au gantelet orné des six Pierres d'Infinité, exterminé la moitié des êtres de l'univers, les Avengers survivants tentent de se rassembler. Il faudra attendre cinq ans que Ans-Man sorte accidentellement de l'infiniment petit quantique, pour que Tony Stark accepte de joindre ses forces à leur plan fou : remonter dans le temps afin d'empêcher Thanos de s'emparer des Pierres…

Où l'ensemble des fils et arcs narratifs laissés en suspens depuis 21 films et trois phases par les différentes franchises Marvel sont appelés à se boucler. Mais de même qu'« il faut savoir finir une grève » comme disait Thorez, mettre un terme à un cycle ne s'improvise pas. Avengers : Infinity War (2018) avait laissé entrevoir une bienheureuse inflexion dans la série : à la surenchère de combats de colosses numériques entrelardés de punchlines boutonneuses (Captain America Civil War), avait succédé une dimension plus sombre, volontiers introspective grâce à l'intégration de Thanos. Un antagoniste moins manichéen qu'il y semblait, semant une mort arbitraire à des fins sélectives quasi-darwiniennes — voire écologiques si l'on fore un peu sous son derme mauve. Un genre de personnage à la Magnéto — pour trouver un équivalent du côté X-Men, où la composante psychologique a toujours été plus fouillée — conscient de la désolation qu'il sème autant que de la nécessité d'accomplir une destinée le dépassant ; d'être le simple véhicule du fatum

Endgame poursuit sur cette ligne non pas droite, mais courbe, sans doute afin d'épouser les contours de l'espace-temps que cette histoire s'amuse, en bon objet de pop culture, à nouer et désentrelacer à l'envi, sans se priver de jouer des paradoxes temporels que ces “ruptures du continuum“ ne manquent pas de produire. Jeu de rebond tout d'abord à l'attention des aficionados de ces histoires d'horloges contrariées, les titres de ces fictions sont explicitement cités comme des sources scientifiques (Retour vers le futur, etc.) ; jeu intertextuel ensuite lorsque les boucles narratives font se rejouer une séquence (comme dans… Retour vers le futur, encore, ou Terminator Genesys). Mais cette manipulation ludique, on le sait, n'est jamais sans conséquences sur le passé comme sur le futur et les interférences qu'elle suscite causent d'inévitables dégradations. Ce que les Avengers rectifient, ils le paient autrement — d'ailleurs, la phrase-clef du film est sans nul doute celle que lâche un Tony Stark plus philosophe (et “thanosien“) que jamais : « le temps se venge ».

Temps qu'il y aura des surhommes (et des surfemmes)

Or si le temps se venge ici, c'est qu'il n'a jamais été aussi présent, ressenti, éprouvé ou accepté par les personnages. Et la sensation de perte définitive intégrée dans ce monde où la métamorphose est reine, mais le vieillissement ou la mort en général bannis. Endgame, c'est d'un certain point de vue la fin de la récréation, la fin de la labilité et le début de la stabilité. Une parenthèse qui se ferme et le cours de choses “normales“ reprend son cours, bercé par une douce mélancolie — Jean d'Ormesson aurait adoré !

Assumant sans longueur ses trois heures, offrant au Dude des frères Coen une place inattendue parmi les Avengers (l'une des idées les plus coooool du film), Endgame revendique également un positionnement idéologique — sans doute conforté par des visées commerciales — qu'il est bon de souligner : la prédominance des super-héros tend à s'amenuiser face à l'émergence des super-héroïnes — en particulier Captain Marvel — ; la diversité ethnique gagne du terrain, avec une transmission de témoin culottée, qui devrait conduire certains rednecks à avaler leur cagoules.

Un mot, pour finir, sur les dernières images, traditionnellement agrémentées dans les productions Marvel de séquences intercalaires et/ou post-génériques. Constituant pour les fans hardcore l'ultime rendez-vous avant le retour de la lumière dans la salle, faisant office de mention “à suivre…“ et de méta-lien entre toutes les branches narrées en parallèle, le bonus de Endgame trouve justement une forme nouvelle — qu'on ne dévoilera évidemment pas — mais qui, si l'on y réfléchit un peu, ne pouvait se concevoir autrement. Restez jusqu'au bout, vous aurez une sacrée surprise…

Avengers: Endgame de Joe & Anthony Russo (É-U, 3h01) avec Robert Downey Jr., Chris Evans, Mark Ruffalo…


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