American dreamer

Nouvelle sensation folk venue du Kenya via les États-Unis, J.S. Ondara interroge, dans les pas de son idole Bob Dylan et de quelques autres figures du genre, ce rêve américain dont il a fait l'expérience à la fois heureuse et contrastée. Une découverte.


La question mérite d'être posée tant elle ébranle un mythe fondateur de la culture occidentale, à l'heure où des dizaines de milliers de pauvres hères venus d'Amérique latine en quête d'Eldorado se heurtent à un mur construit expressément pour leur faire barrage. Où en est-on avec le rêve américain ?

Il y a quelques années la chose s'incarnait, peut-être un peu trop facilement pour ne pas décevoir, en un jeune avocat de Chicago d'origine kenyane né à Hawaïï et devenu le premier président noir des États-Unis. Un Trump plus tard, il reste de ce rêve l'essence et l'envers du décor que symbolise parfaitement la trajectoire de J.S. Ondara, elle aussi entamée au Kenya.

Le jeune homme est né au Nairobi et par la grâce de la radio familiale a grandi au son de Pearl Jam, Nirvana et Radiohead avant de succomber définitivement à la grâce dépenaillée du Freewheelin' de Bob Dylan. Décision est alors prise à 17 ans de tailler la route et les airs direction le Minnesota, terre natale du Zimm', où l'attendent une tante – aux USA, il y a toujours un oncle ou une tante quelque part – et une guitare.

Sentiments contrariés

Là, dans le cœur réfrigéré des Twin Cities Minneapolis et St-Paul, Ondara empoigne son destin en même temps que le précité instrument, et entreprend alors de raconter, mi-griot, mi-hobo, un rêve américain en forme d'exil (American Dream), entre itinérance et errance (Turkish Bandana), espoirs et déceptions, amour (Television Girl), Trump (Days of Insanity) et esclavage (Master O'Connor). Le tout avec une ironie forcément un peu dylanienne.

Pourtant le rêve est bien réel et tout à fait américain qui le mènera à cet album, Tales of America, via ce qui ressemble effectivement à un conte de fée. Quelques chansons déposées sur Internet convainquent une radio de passer un de ses titres, ce qui entraîne une signature sur le label Verve. Et l'affaire de s'emballer à mesure que les enthousiasmes fleurissent et que pleuvent les comparaisons. Car si le timbre d'Ondara rappelle parfois celui, androgyne, de Tracy Chapman, c'est vers la mélancolie et le lyrisme feutré d'un Tom McRae et même les envolées archangéliques de Tim Buckley que le portent ses chansons vibrantes.

Des morceaux dont la douce ambivalence et les sentiments contrariés rappellent une phrase d'un conte de Charles Dickens où il est question de deux villes quelque part jumelles elles-aussi, Le Conte de deux cités : « C'était le meilleur et le pire de tous les temps, le siècle de la folie et celui de la sagesse ; une époque de foi et d'incrédulité ; une période de lumières et de ténèbres, d'espérance et de désespoir, où l'on avait devant soi l'horizon le plus brillant, la nuit la plus profonde ; où l'on allait droit au ciel et tout droit à l'enfer. » Quelle plus belle définition de l'Amérique d'aujourd'hui et du rêve fragile mais toujours brillant qu'elle porte ?

J.S. Ondara
Au Transbordeur le samedi 4 mai


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