Grave bien !

La petite galerie-appartement le 1111 présente une quinzaine de gravures et de lithographies de Picasso et de Matisse. L'occasion de s'attarder, hors des foules des grandes expositions muséales, sur quelques aspects du travail des deux grandes figures de la modernité.


En 1905, Picasso est à Paris depuis un an. Agé de 24 ans, en couple avec Fernande Olivier, il voit la vie, et ses toiles, en rose, après une période bleue mélancolique (1901-1904) et le deuil de son ami suicidé Carlos Casagemas. Il dessine et il peint alors beaucoup le monde du cirque, des clowns, des acrobates, des dompteurs, ou encore cette figure qui le fascine tant, Arlequin. À Paris, Picasso fait ses débuts aussi dans les techniques de la gravure et l'on retrouve, dans trois estampes présentées au 1111, des arlequins et le monde des saltimbanques. Picasso y représente notamment la scène biblique de la danse de Salomé devant son père Hérode, Salomé qui se trémousse en échange de la tête décapitée et placée sur un plateau de Jean Baptiste. Il y a là encore une maladresse touchante dans la composition de cette scène, avec une danseuse exécutant nue un grand écart sur pointe, devant un Hérode bouffi, aussi adipeux qu'œdipien. Le sexe, la mort, la transgression, le corps dans tous ses états : bien des éléments de l'œuvre à venir de Picasso sont présents dans cette petite gravure, à la fois hiératique et mouvementée.

Le trait et le néant

D'autres gravures exposées au 1111 couvrent plusieurs périodes de l'artiste d'origine andalouse (période cubiste, période bleue….) jusqu'à ses œuvres ultimes du début des années 1970 où Picasso rend hommage à ses amis et à ses maîtres en peinture. Mais, là où l'exposition prend un tour émouvant autant que passionnant, c'est dans la confrontation toute simple d'estampes de Matisse aux côtés de celles de son frère ennemi Picasso. Au regard de Picasso, il y a chez Matisse comme un silence, un dépouillement et une sobriété qui font événement plastique. Ce sont par exemple deux nus féminins en un minimum de traits, ou bien une étude de visage de la Vierge faite de peu de lignes. On se rend compte alors, davantage peut-être que dans ses toiles peintes, que Matisse dessine "au-dessus" du vide, et que la figure humaine est, chez lui, comme un miracle, une apparition éphémère entre deux abîmes.

Matisse, Picasso
Au 1111 jusqu'au 25 mai


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