Livré cor(p)sé

La politique par le corps. Ce que l'indispensable Phia Ménard et Mélissa Von Vépy racontent dans leurs spectacles présentés aux Subsistances dans le festival Livraisons d'été est que la façon d'être au monde se passe parfois de grands discours. Mais n'en demeure pas moins puissante et agissante. Explications.


Sans avoir vu au préalable les spectacles de ce festival, faisons confiance aux circassiennes qui les inventent. Tant par ce qu'elles disent en amont que par la haute teneur artistique de ce que précédemment elles ont fait. Ainsi Phia Ménard est-elle aujourd'hui un phare dans la création contemporaine. Non pas un modèle – ça la gênerait certainement – mais une valeur sûre qui au gré de ses créations bouleversantes (Vortex, P.P.P.), parfois légèrement moins (Les Os noirs) trace un chemin unique. Avec Maison mère, elle signe le premier volet de ce qu'elle nomme, rohmérienne à rebours, Contes immoraux. Invitée à la Documenta de Kassel délocalisée à Athènes en 2017, elle s'est inspirée du Parthénon pour créer sur scène, chaque soir, une grande maison de carton, celle d'Athéna, déesse de la guerre et de la sagesse.

L'artiste a alors fabriqué « la maison pour sauver l'Europe » puisque constate-t-elle sur place, « la Grèce s'occupe des migrants de façon incroyable mais la société européenne leur propose des maisons en carton en pensant qu'il y a toujours du soleil, mais il pleut aussi dans ce pays ». Dont acte. Il va pleuvoir en trombe sur le plateau et la notion de péril va apparaître concrètement. Politiquement comme personnellement, au plus profond de ses entrailles, Phia Ménard construit un passionnant travail introspectif jamais nombriliste. Maison Mère devrait en être une nouvelle démonstration.

Elément-terre

Mélissa Von Vépy, non pas jongleuse comme sa consœur mais spécialiste de l'aérien, explore la face cachée d'un spectacle en interprétant une régisseuse. Une perche lumière se brise et la voici propulsée dans les cintres. La voltige est une composante essentielle de Noir M1 à laquelle s'adjoint un hommage à Macbeth et sa folie via les voix des films que lui ont consacré Roman Polanski et Orson Welles. Se mêlent à la fois l'urgence de la représentation et son mystère insondable. Poussée jusqu'à la transe, Juan Ignacio Tula lui va au bout de l'utilisation physique de son agrès, la roue Cyr, dans une création, Instante, préfigurée l'an dernier aux UtoPistes : étourdissante tout autant que raide politique. Où il est question encore d'engagement.

Livraisons d'été
Aux Subsistances du mercredi 4 au dimanche 16 juin


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Les Nuits de Nadja #3