« Sans convention, pas de transgression »

En invitant Marc-Antoine Mathieu à créer une exposition dans le parking de la Fosse aux Ours, Lyon BD Festival accueille pour la première fois un auteur fascinant dont l'œuvre entre Kafka, Borges et les Monty Python ne cesse d'ouvrir de nouvelles voies narratives, ludiques et théoriques. Attention, événement !


Jeu de contraintes, mises en abyme, réflexivité, modification de la structure de l'objet-livre… D'où vous vient ce besoin de “défaire“ la bande dessinée pour, paradoxalement “faire de la bande dessinée“ — et ce depuis L'Origine, si l'on ose ce jeu de mots ?
Marc-Antoine Mathieu
: La catastrophe, l'incongru, le “disruptif” (pour employer un mot à la mode) me viennent toujours à l'esprit à un moment ou à un autre, au cours des rêveries qui précèdent l'écriture d'une histoire. Ces rêveries forment un terrain singulier, où l'on ne contrôle pas tout et d'où émergent nos penchants, nos inclinations ; chez moi, ils s'appellent décalage, cassure, brisure de symétrie, différences d'échelles... Parfois quelque chose survient, qui nous étonne nous-mêmes : alors le travail commence. 

Est-ce sa “potentialité” qui vous a séduit dans le gris, couleur plurielle et universelle ?
Sa potentialité et sa contrainte — mais ce sont peut-être une seule et même chose... Quand j'utilise le noir et blanc de manière radicale, j'aborde la lumière comme signe, comme concept, au même titre que les autres éléments formels. Avec le gris et ses nuances, la lumière s'incarne, mais elle peut néanmoins rester signifiante. C'est idéal.

L'album, en tant que support, est-il une convention trop souvent respectée ?
Non, je ne pense pas. Les conventions existent car elles permettent d'aller au plus vite à l'essentiel pour pouvoir creuser ensuite plus avant. Et plus généralement, sans convention, pas de transgression. Mes livres sont finalement d'apparence très classiques...

Vous ne dédaignez pas le recours aux nouveaux outils technologiques quand ils vous sont proposés (je pense à 3'' ou à S.E.N.S) ; cependant, vous y répondez avec des œuvres qui soit réaffirment la spécificité du livre (Le Livre des Livres), soit le transcendent (3 Rêveries). Est-ce que, consciemment ou pas, vous ne cherchez pas à inscrire vos histoires volontiers oniriques et philosophiques dans des objets matériels plutôt que dans des espaces virtuels ?
Je suis d'une génération qui a grandi dans le papier : pour lire, écrire et dessiner. Il m'est difficile de lire ou de dessiner sur écran. Je le fais parfois, mais cela reste des exceptions. 3 secondes est symptomatique: j'ai commencé à créer le récit pour les smartphones, et je l'ai adapté ensuite pour en faire un livre. C'est caractéristique d'une culture qui a du mal à passer à la suivante…

Quand on a dessiné le passé, le futur, Dieu ou au-delà des limites, la transgression suprême ne serait-elle pas de signer un album sans la moindre contrainte ?
Hé hé ! C'est un peu ce que j'ai cherché en improvisant Homo Logos, ce récit quasiment abstrait dans 3 Rêveries.

Le Sel et le Ciel vous permet d'unir deux de vos métiers autour de la création d'une exposition mais aussi d'une légende éminemment métaphorique. On peut notamment y voir le travail de Sisyphe de l'artiste pour faire émerger une œuvre du chaos, ou la nécessité d'une fraternité humaine pour aider des naufragés… Entre autres interprétations. Lorsque vous l'avez conçue, aviez-vous une idée vague ou précise de ce que vous vouliez inspirer au visiteur ?
Non. Au début, l'idée était très simple : raconter une autre origine à cette barque, la "Couzonnaire". Magnifique : tellement fossilisée qu'elle a l'apparence de la pierre — à l'opposé d'une matière qui flotte... Et je l'ai imaginée dans du sable, qui est devenu du sel, puis ce sel est apparu comme un matériau de conservation ; mais qui conserverait quoi ? Et ainsi de suite... C'est une véritable improvisation, dont je me suis aperçu qu'elle racontait des choses très actuelles.

Marc-Antoine Mathieu​,  Le Sel et le Ciel
Au Parc LPA Fosse-aux-Ours (1 bis place Antonin Jutard,  Lyon 3e) les samedis et dimanches du 8 juin au 21 juillet et du 14 au 29 septembre 

Rencontre avec Marc-Antoine Mathieu
Au Palais de la Bourse 


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