Le Daim

Revenant de quelques infortunes artistiques, Jean Dujardin se prend une belle veste (au sens propre) taillée sur mesure par Quentin Dupieux en campant un monomaniaque du cuir suédé. Un conte étrange et intriguant totalement à sa place à la Quinzaine des Réalisateurs.


Ça a tout l'air d'une tocade, et pourtant… Georges, 44 ans, a tout quitté pour acheter une fortune la veste en daim de ses rêves, au fin fond d'une région montagneuse. Ainsi vêtu, il se sent habité par une force nouvelle et se lance dans un projet fou, aidé par Denise, la barmaid du coin…

Propice aux films de zombies (plus nombreux que des doigts sur un moignon de mort-vivant), l'année serait-elle aussi favorable aux récits de fringues maudites ? Après In Fabric de Peter Strickland (la déclinaison sur-diabolique de La Robe de Van Warmerdam vue notamment au festival Hallucinations Collectives), Le Daim renoue avec cette vieille tradition héritée de la mythologie où l'habit influe sur l'humeur ou la santé de celui qui le porte. À l'instar de la tunique de Nessus fatale à Hercule, ou de la tiare d'Oribal pour les lecteurs d'Alix, le blouson ocre va conditionner Georges, le menant à supprimer ses semblables — comprenez ceux du porteur de daim ainsi que tous les autres blousons du monde. Vaste programme, aurait pu dire de Gaulle.

Aux franges du réel

Ce n'est certes pas la première fois que Quentin Dupieux dote un objet inanimé d'intentions criminelles, puisqu'il nous avait fait le coup du pneu dans Rubber. Et c'est également en habitué qu'il explore ici la thématique de l'interférence, ce soubresaut dans le réel induisant un infime décalage lourd de conséquences : en changeant de référentiel, les frontières bougent elles aussi, en particulier celles entre conscience et inconscience, rêve et veille. Et dans une spirale incontrôlable, la tolérance des incongruités se fait jusqu'à l'acceptation de tous les absurdes, comme si le réel était parasité dans son récit (Wrong) et/ou dans sa structure (Réalité, Au poste !).

Paradoxalement, le seuil d'anormalité auquel Le Daim se hisse est sans doute le moins élevé de toute la filmographie de Dupieux : après tout, Georges pourrait bien être un psychopathe “traditionnel” faisant une fixette sur une matière textile, trouvant en Denise une admiratrice aussi timbrée que lui. Mais cette singularité, ajoutée à l'ambiance Twin Peaks, rend la moindre parcelle de décor ordinaire et le moindre personnage, suspects de recéler quelque travers souterrain dès lors que la caméra s'attarde sur eux. Par contamination, Jean Dujardin bien trop lisse dans ses dernières apparitions, se nimbe enfin d'un voile d'inquiétante intranquillité. Le blouson ferait-il l'acteur ?

Le Daim de Quentin Dupieux (Fr-Bel, 1h17) avec Jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy…


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