Fête de famille

Un seul être revient… et tout est dévasté. Cédric Kahn convoque un petit théâtre tchekhovien pour pratiquer la psychanalyse explosive d'une famille aux placards emplis de squelettes bien vivants. Un drame ordinaire cruel servi par des interprètes virtuoses.


Pour son anniversaire, Andréa a convié enfants et petits-enfants dans la maison familiale. Mais l'irruption de l'aînée, Claire, met au jour (et à vif) plaies et dettes du passé. Entre la bipolarité de la revenante, les coups de sang du cadet et l'aboulie des autres, la fête a du plomb dans l'aile…

Si les questions de corps au sens large — cul, inceste, maladie, décès… — constituent les habituels carburants dramatiques des réunions de familles cinématographiques souvent crues et psychologiquement violentes (Festen, La Bûche, Un conte de Noël…), aucune d'entre elles ne surpasse le tabou suprême que constitue le fric. Fille d'Andréa née d'un précédent lit, Claire veut récupérer l'héritage de son père qu'elle a placé dans la maison de famille… où vivent sa mère, mais aussi sa fille, qu'elle a abandonnée pour mener son existence instable et qui la hait. Dette d'amour, dette d'argent, silences embarrassés… Dans cette maison trop grande, dont les recoins pénombraux disent les non-dits coupables, personne à l'exception du cadet n'ose s'opposer à la fille prodigue ni prendre de décision : une lâcheté dilatoire et muette règne.

La folle prodigue

Dans cette tragédie évoquant parfois un King Lear inversé, Cédric Kahn s'est enfin autorisé à recourir à ses propres services de comédien — jusqu'à présent, il n'accordait ce privilège qu'à quelques rares consœurs et confrères. Hasard ou choix conscient visant à lui prouver que la chose était faisable, sa distribution compte des réalisatrices ayant déjà passé le pas devant leur propre caméra : Lætitia Colombani et bien sûr Emmanuelle Bercot. Toute scintillante de colifichets dorés, moulée dans ses tenues léopard, l'interprète du complexe rôle de Claire évoque Bette Midler quand elle passe par toutes les gammes de l'extraversion : fantasque, désespérée, hystérique…

Excessif, ce personnage cristallisant à la fois empathie et rejet chez le spectateur, constitue le pivot du récit. Autant dire sa raison d'être : en son absence, tout le monde vivrait dans une illusion d'harmonie et sans histoires — étant bien entendu que les “gens heureux” n'en ont pas. Corollaire logique pour celle par qui le scandale arrive, son intervention ne pourra qu'ajouter à ses malheurs. En témoigne la fin du film : apparemment douce et apaisée, elle ne fait qu'amplifier la condition pathétique de “l'intruse“ en recouvrant d'une joie aussi factice que cosmétique (et fatalement provisoire) l'écume amère de ce tsunami domestique.

Fête de famille de & avec Cédric Kahn (Fr, 1h41) avec Catherine Deneuve, Emmanuelle Bercot, Vincent Macaigne…


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