Esprit slacker

Parmi les dernières pépites de Born Bad Records, Bryan's Magic Tears, invité du Ninkasi Festival, sonne comme une réminiscence de l'esthétique "slacker" des 90's. À moins qu'il ne soit un symptôme involontaire de son époque.


Il y a dans le désenchantement de cette fin de décennie – où l'on nous promet rien moins que la fin de l'Humain ; où les idéologies gisent écrasées entre le marteau du libéralisme et l'enclume du fascisme – quelque chose des années 90 telles que le romancier canadien Douglas Coupland nous les décrivait dans son Génération X.

Avec cette fois la transformation en absolue certitude d'une phrase clé du roman : « Dans le nouvel ordre mondial tu compteras peut-être pour rien ». Mais tu seras quand même balayé. « Je m'allongeais sur le sol (...) et je retins mon souffle, en proie à un sentiment dont je n'ai jamais pu me débarrasser complètement – mélange de noirceur, de fatalité et de fascination – un sentiment éprouvé (...) depuis le début des temps par la plupart des jeunes gens qui ont un jour levé la tête, scruté les cieux et vu leur univers disparaître. » décrit Andy, le narrateur.

C'est précisément cette impression que fait renaître Bryan's Magic Tears – auquel on ne fera pas le procès d'intention de vouloir faire porter à sa musique une telle charge émotionnelle, ni même d'ailleurs une quelconque intention.

4 heures du mat'

Comme le récent film de Jonah Hill, Mid 90's, l'album 4AM est une plongée tête la première dans la réitération perpétuelle de la sensation précitée, dans laquelle s'est cristallisé tout un pan de l'indie-rock (mais aussi du cinéma et de la littérature) autour de la notion de "slacker", cet être ayant fait le choix de "l'option paralysie" pour rendre moins douloureuse la perte de la jeunesse, ce drame "absurde et silencieux".

Ici, à quatre heures du matin s'agitent les fantômes ou les ombres tutélaires de Dinosaur Jr., Sebadoh, Pavement, The Lemonheads mais aussi de figures britanniques telles que des Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine – camouflant derrière une épaisse brume sonore et un je-m'en-foutisme radical porté en étendard l'impasse de l'époque.

Ainsi, le groupe parisien se tient-il nonchalamment adossé à la ligne de partage entre naïveté et dépression en pratiquant comme leurs aînés en guise d'ultra-politesse du désespoir, la proverbiale "ironie rotulienne" selon Coupland (« tendance réflexe à faire, dans la vie de tous les jours, des réflexions ironiques sur un ton désinvolte »).

Avec 4AM, en avançant simplement d'une heure la flèche dy temps, Bryan's Magic Tears fait rien moins que sienne le fameux adage fitzgeraldien : « dans la nuit noire de l'âme, il [sera désormais] toujours quatre heures du matin ».

Festival Ninkasi x Born Bad Records : Bryan's Magic Tears + Marietta
Au Ninkasi le mercredi 11 septembre


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