Un Kiefer remis d'aplomb

C'est rien moins qu'un événement artistique majeur au Couvent de la Tourette qui accueille l'artiste contemporain Anselm Kiefer. L'architecture du Corbusier donne paradoxalement à Kiefer un peu de légèreté...


L'écraseur écrasé… Ainsi pourrait-on résumer de manière, on l'espère drolatique (façon cartoon), l'exposition du célèbre artiste d'origine allemande Anselm Kiefer, au Couvent de la Tourette. Car, si l'on aime (parfois, souvent) les œuvres de Kiefer, force est de constater aussi leur caractère écrasant : par leurs dimensions, par leur poids (Kiefer utilise beaucoup le plomb dans ses sculptures et ses peintures), par leurs connotations historiques tragiques, par leurs références culturelles innombrables… À la Tourette, Kiefer est lui-même écrasé par un autre poids lourd artistique : Le Corbusier et son architecture de lumière et de béton brut. Du coup, dans ces espaces si marqués par la signature radicale de l'architecte, même les œuvres les plus monumentales de Kiefer trouvent ici un certain équilibre, presque une… discrétion ! Dans l'église du couvent par exemple, la Résurrection de Kiefer (pièce produite pour l'exposition), ces immenses fleurs de béton courbant l'échine au milieu de gravats, ressemblerait quasiment à une sculpture de Giacometti.

Saint Anselm

Autres exemples : les saintes acéphales et blanches de Kiefer flottent ou presque sur les terrasses extérieures du couvent. Ou c'est encore un tableau de plus de cinq mètres de long (Pourquoi y a-t-il quelques chose plutôt que rien ?,  2010-2016) qui vient s'inscrire parfaitement dans le cadre du réfectoire, avec son gros livre de plomb accroché à la surface de la toile, recelant, aux dires de l'artiste, un objet secret et invisible, même aux rayons X.

Le Frère Marc Chauveau, commissaire de l'exposition, a sélectionné parmi l'œuvre immense de Kiefer, des dizaines d'œuvres dont les références sont surtout bibliques et religieuses. Et en invitant Kiefer, âgé aujourd'hui de 74 ans, à la Tourette, c'est aussi une boucle biographique qui est bouclée : Kiefer en 1966, à 21 ans, avait séjourné plusieurs jours au couvent (le catalogue reprend les pages du journal de Kiefer écrites lors de ce séjour). Cette exposition marque donc à l'encre de plomb une page de l'histoire de l'art, et, surtout, nous fait découvrir un Kiefer plus léger. Ici bas, tout est relatif.

Anselm Kiefer
Au Couvent de la Tourette à Eveux jusqu'au 22 décembre

Rencontre avec le frère Marc Chauveau
À la librairie Michel Descours le ​jeudi 17 octobre


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