Perdu dans l'espèce

En marge de Suuns, le Canadien Ben Shemie continue d'explorer les possibilités de l'esprit humain et de la pop expérimentale en les accouplant à une forme de chronologie du hasard dictée par les machines.


Si les disques étaient livrés avec une notice d'utilisation, alors l'A Skeleton de Ben Shemie serait décrit de la manière suivante : « un album pop expérimental aux sons synthétiques froids avec des touches de psychédélisme. »

Et force est de constater qu'on ne serait guère plus avancé que le singe de 2001, L'Odyssée de l'Espace devant la découverte du monolithe noir de la connaissance. Ou d'un humain quelconque devant le manuel de mise en route d'une super-intelligence artificielle. D'intelligence artificielle il est justement question sur ce disque, de la question du rapport de l'humain avec la machine aussi (qui commence avec le singe précité découvrant l'outil – et l'arme – en empoignant un os).

Cette confrontation, le leader du groupe art-kraut-pop de Montréal Suuns – pour qui le rock est une science complexe, un work in progress laborantin – l'a éprouvé au cours d'un enregistrement soumis à l'épreuve de l'instant présent et de l'aléatoire. Livrant aux machines les clés de son art.

Recoins présynaptiques

Car A Skeleton a été enregistré en une seule prise afin de tenter d'épuiser les possibilités de l'entropie que cette méthode pouvait générer. Réengistrer mille fois ce disque, même avec des machines, en aurait donné mille versions différentes, le squelette étant la seule trace restant du passage fantomatique de l'activité humaine.

De là, Shemie, qui autopsie les acquis de sa formation classique au profit de la performance expérimentale, se livre à un voyage en apesanteur dans l'infiniment grand autant que dans l'infiniment petit, explorant, comme s'il s'agissait du même territoire, l'immensité froide de l'espace et les recoins présynaptiques de la psyché humaine, à la manière d'un Syd Barrett cosmique qui aurait eu accès aux technologies les plus avancées pour diligenter sa folie créatrice-destructrice.

Ainsi progresse l'explorateur musical entre ce qui tient autant du flux de conscience que d'une certaine idée de la pop algorithmique, berceuse transformant l'expérience onirique fondamentale en une nuée de moutons électriques à l'assaut de la barrière érigée entre humain et machine.

Ben Shemie 
Au Périscope le vendredi 11 octobre 


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