Sous la Russie, la glace

Le 16 octobre, le festival de théâtre Sens interdits entamera dix jours dédiés aux résistances avec la dernière création de Tatiana Frolova. De l'art de la fidélité.


« Il n'est pas de hasard, il est des rendez-vous » murmure-t-il depuis des décennies. Étienne Daho pourrait apposer sa jolie ritournelle sur ce lien établi entre Sens Interdits et l'autrice et metteuse en scène Tatiana Frolova. Pas de hasard, car pour faire la route de sa Sibérie natale à l'Europe, elle a dû retrousser ses manches pour sortir de sa ville fermée et faire le chemin jusque dans nos contrées où Patrick Penot (portrait ici) a rencontré son œuvre, après maintes péripéties, en 2010 à Vandœuvre-lès-Nancy. Voici déjà quatre rendez-vous avec le festival, qui la porte à chaque édition depuis 2011 et lui permet désormais de faire sa création sur le grand plateau des Célestins. Une première pour celle qui incarne la résistance, dont le festival a fait sa ligne de conduite avec pertinence.

Née en 1961, Tatiana Frolova est diplômée de mise en scène de l'Institut de la Culture de Khabarovsk, dans l'Extrême-Orient russe. Sous ses atours frêles, sa silhouette masque une volonté de fer pour dire la Russie et l'URSS, ce dont elle a hérité et comment elle s'en débrouille. De son parcours individuel où sont convoqués ses proches et sa famille, elle extirpe un destin national qui n'a rien d'un roman enjolivé.

Dégel

En passant par Dostoïevski (Le Songe de Sonia), ou en racontant le conflit russo-tchétchenne (Une guerre personnelle), elle affronte sa nation, ses incohérences, sa brutalité mais aussi la manière dont ses compatriotes se débrouillent avec. Ainsi, elle a fait un implacable bilan du XXe siècle de ce pays immense avec Je n'ai pas encore commencé à vivre. Sans arrondir les angles de la violence d'antan, sans idéaliser les années de glasnost et perestroïka, sans rien pardonner au capitalisme vorace entamé avec Eltsine et engraissé sous l'autocratie poutinienne. Frolova attrape ses vieilles photos, ses ciseaux, les posent sur un rétroprojecteur, nous les renvoie sur les tulles ou une télé grésillante.

Archaïque ? Certainement pas. Délicat assurément et surtout sans concession. Ces jours-ci elle présentera Ma petite Antarctique, en traitant de la glace, qui détruit la vie mais aussi la conserve. Elle mène cette création avec son éternelle troupe du théâtre KnAM. Avant de revenir lors de la prochaine édition de Sens Interdits, pour « un festival dans le festival » dixit Patrick Penot.

Ma petite Antarctique
Aux Célestins du mercredi 16 au samedi 19 octobre


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