Pablo Valentino, l'organique

Digger passionné, Pablo Valentino convie des artistes éclectiques à ses côtés pour sa résidence Children Of The Drum — la plus ancienne du Sucre. On a rembobiné les années pour dresser le portrait de celui qui ne jure que par le groove, au Café du Rhône, qu'il a découvert dès son arrivée à Lyon il y a cinq ans. Story.


C'est l'histoire d'un gamin de Strasbourg tombé dans un bac à vinyles quand il était petit. Le funk et le disco tournent en boucle à la maison, sur la chaîne hi-fi made in 80's de son père. À dix ans, son oncle qui tient lui-même une émission le dimanche sur Radio Bienvenue Strasbourg (RBS), programme du reggae, du hip-hop à la A Tribe Called Quest ou Digable Planets, et lui file des CDs du rap français qui explose alors — Assassin, NTM… « La RBS m'a beaucoup influencé. Les DJs passaient non stop, sans pub ni annonce. Le matin ils jouaient du trip-hop, de la drum&bass, et l'après-midi des mixes de house de Chicago ou Detroit. Je les appellais pour avoir le nom des morceaux jusqu'à découvrir que la radio n'était pas si loin de chez moi » raconte Pablo.

Son père imagine-t-il lancer sa carrière de digger lorsqu'il lui construit une table de mixage pour un anniversaire ? L'ado Pablo y est déjà. Il écume dès quinze ans les magasins de disques de Strasbourg, après trente minutes de vélo depuis son village : « tu achètes un seul disque comme tu as peu de sous, tu l'écoutes une semaine et tu reviens en prendre un autre. » Ces magasins sont de véritables points de rendez-vous à l'heure où les évènements Facebook n'existent pas. Au milieu des vinyles et des fanzines, les organisateurs de soirées côtoient les fêtards venus chercher leurs flyers. Pablo comprend vite qu'il est aux premières loges. Il finit par faire ses gammes durant trois ans chez Soul Tronik. 1998 : il envoie ses premières mixtapes. Le destin lui fait du pied lorsqu'on le booke pour une soirée… le jour de son brevet. Encore mineur, c'est donc sa mère qui reçoit le chèque et le billet d'avion à la maison, interloquée. Lotfi, un ami DJ aussi implanté à Lyon, s'en amuse : « 2000 francs à l'époque, ce n'était pas rien. Son père n'était pas au courant. Sa maman a couvert le truc. Vingt ans après, il est toujours là. » Pablo de renchérir : « mais on n'appelle plus ma mère ! », dans un éclat de rire.

Acolytes 

Les dates s'enchaînent en Europe et les rencontres aussi. Il côtoie de futurs noms comme Christopher Irfane Khan-Acito, chanteur de Breakbot, ou le producteur et DJ Danilo Plessow, aka Motor City Drum Ensemble. Pablo revient sur sa rencontre décisive avec MCDE : « c'était dans un club à Stuttgart où je mixais, il avait seize ans. Il m'a tendu un CD que j'ai écouté à l'hôtel. Je l'ai rappelé le lendemain matin. Il était dans une chambre de Cité U à faire déjà du son mortel ! » Du hip-hop et du broken beat que le jeune Danilo signe Inverse Cinematics, et que Pablo souhaite graver sur vinyle. L'occasion de lancer son premier label, Faces Records, maison-mère de la subdivision MCDE. « Il m'a fait écouter Raw Cuts 1 & 2, les deux premières sorties sur MCDE, cette fois orientées musiques électroniques, je lui ai donc proposé ce second label qui porte ses initiales. On a sorti le premier disque comme ça » décrit Pablo. Si l'aventure dure, ce n'est pas pour rien. Graphiste et membre du binôme de DJs Sheitan Brothers, Patrick a travaillé avec lui sur la direction artistique de sa résidence Children Of The Drum et des pochettes de vinyles chez Faces : « quand Pablo me demande quelque chose je sais que ça va être un moment facile à gérer car il m'a toujours fait confiance. Il y a un respect des territoires de chacun. » Les deux épicuriens se retrouvent aussi musicalement, partageant une forte affinité pour les sonorités brésiliennes. Hilares, ils se remémorent leur première fois tous les trois au Transbordeur, lors d'un Extra! de Nuits sonores. « On avait inventé un nom éphémère ce soir-là, (en chœur) Los Hijos Del Tambor ! Children Of The Drum en espagnol. »

Intimement universel

Parlons-en, de cette fameuse résidence au Sucre. Lorsqu'il la lance en 2015, le digger « anti set-autoroute-de-techno » souhaite « ramener les gens vers du groove, des musiques organiques. » Sans cliché du « jazz-pantoufle-papi » comme il dit, car « il y a du jazz spirituel dansant comme Pharoah Sanders. Ce n'est pas évident sur le papier mais ça peut fonctionner si c'est bien amené au bon moment. C'est magique et tu comprends pourquoi tu as fait ça avec le retour des gens. » D'après Patrick si son public, que Pablo décrit comme connaisseur et curieux, le lui rend bien, c'est grâce à sa générosité : « pas qu'avec ses amis, je pense que ça se ressent aussi quand il joue. Il a un côté très familial qui s'étend jusqu'à son public, qui est très attaché à lui. Il dégage cette espèce d'aura, de bonhomie et de générosité à la fois avec ses amis et avec la scène. »

Boulimique de vinyles — vous l'aurez compris, le Lyonnais de cœur aime se perdre des après-midis entières dans les shops des pays qu'il visite. Lors de la première édition de Nuits sonores en Colombie, il déniche près de 80 disques colombiens ! Au Japon, il est fasciné par la qualité et la diversité des collections :

avec la globalisation, tu peux trouver de supers disques du monde entier au Japon. La première fois que j'y suis allé, un mec a trouvé une cassette de mon émission de radio de Strasbourg par je ne sais quel moyen !

Ses voyages sont aussi riches des sons qu'il capture partout, muni de son enregistreur Tascam. Du bord de mer au Portugal — pays d'origine de ses parents — aux premiers rires de son fils, qu'il a immortalisé dans le morceau My Son's Smile.

Trouver son bonheur dans le grain d'un son, l'organique, le palpable... Pablo Valentino poursuit sa quête le 26 octobre, en invitant le Sun Ra Arkestra. Un rêve du gamin de Strasbourg : « Sun Ra est mort mais l'Arkestra tourne encore avec des musiciens du groupe original des années 1970. Dont le leader du groupe Marshall Allen qui a 95 ans ! C'est fou de jouer dans la même soirée, sur ma résidence ! » On le retrouvera également en octobre avec son prochain maxi Space Tribe EP sur le label japonais Eureka!. On le laisse sur le challenge irrationnel de ne garder qu'un titre, pour l'éternité. Ses platines en ont vu défiler, et pourtant. Ce sera My Favorite Things : en 1966, John Coltrane étend sa pièce initiale de 13 minutes à 57, lors d'un concert… au Japon. Une musique généreuse qui s'exporte en tout point du globe ? Ça nous rappelle quelqu'un.


Children of the Drum avec Sun Ra Arkestra
Au Sucre le samedi 26 octobre


Repères  

Novembre 1982 : naissance à Strasbourg 

2001 : création du label FACES

2002 : rencontre avec Danilo Plessow alias Motor City Drum Ensemble 

2008 : création du label MCDE

Novembre 2014 : arrivée à Lyon

Mars 2015 : lancement de la résidence Children Of The Drum au Sucre


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Jean Rouch, revisité par Justine Lequette