Le mythe du bond sauvage

Aux côtés de Luc Lang, Claudie Hunzinger vient en la Villa Gillet traiter de la question de l'ensauvagement du monde, thème qui traverse l'hymne à la noblesse sauvage des cervidés qu'est son dernier roman, Les Grands Cerfs, pressenti pour le Médicis.


Il faut, pour comprendre ce qui se joue dans le dernier roman de Claudie Hunzinger, Les Grands Cerfs, avoir eu l'occasion, la chance entropique, d'une telle épiphanie : assister quand l'automne est tombé, au détour d'un chemin sylvestre, ou s'en étant écarté pour quelque sensation vététiste à l'apparition furtive et édénique d'un cerf, figeant l'instant à planter ses yeux dans les vôtres, interdit et défiant, avant de disparaître le temps d'un battement de cil et comme dans un rêve.

Depuis sa réclusion volontaire dans une métairie des montagnes vosgiennes (« ce minuscule topos utopique »), l'écrivaine s'intéresse à ce souverain des forêts profondes, ces fantômes que la nature ne laisse entrevoir qu'avec peu de largesses. Il faut pour cela, donc, un coup du destin valant bénédiction, ou bien la persévérance de l'affût.

Celle qu'acquiert Pamina, l'héroïne, double de l'autrice des Grands Cerfs. Qui avec la complicité de Léo, chasseur (d'images) de cerfs installé sur le terrain qu'elle occupe avec son mari, va apprendre à approcher pour contempler ces rois que la nature couronne chaque année un peu plus, répondre à cet irrépressible appel de la forêt et du for intérieur hanté « par ce vieux fond magique », « ce goût fait de pas d'heures à la recherche d'un trésor ».

Poursuite intime

Car au fond, la quête scopique effleure une poursuite intime : « ce rituel, je le devinais, n'était pas tant pour contempler un cerf que pour m'extraire avant tout de moi-même » réalise Pamina.

Mais ce que trace pareillement la plume ensorceleuse de la romancière autour de ces bêtes traquées, créatures confinant à la mystique faites chair en péril, c'est une ligne invisible vers quelque chose de plus grand, de plus intimement universel.

Ainsi lorsqu'elle suggère quelque impressionniste parallèle entre tel grand cervidé et un chef indien, dont ramures et parures de plumes se confondent dans la même majestueuse autorité, comme d'ailleurs le destin promis par leurs prédateurs respectifs (on sait de quoi résonne ce « un bon cerf est un cerf mort »), Claudie Hunzinger se livre à un apologue de l'extinction. De la nature comme des peuples aborigènes – animaux ou humains – qui en partagent humblement l'harmonie primordiale.

Celle là même que l'on chercherait à retrouver à l'écart du grand chaos du monde, comme hors de soi, dans l'éclat d'une apparition sauvage. Avec la prescience que toujours le Paradis couve une apocalypse.

De l'ensauvagement du monde, avec Luc Lang et Claudie Hunzinger
À la Villa Gillet le jeudi 17 octobre

Les Grands Cerfs (Grasset)


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