Coppola : le Parrain, dernière époque

Le Padre padrone de la famille Coppola arrive cette semaine pour recevoir son dû lyonnais. Plus que la jolie plaque en bois gravée à son nom, c'est l'ovation associée qui devrait lui arracher l'un de ses trop rares sourires. En l'attendant, refaisons connaissance avec lui…


Dans la carrière de Coppola, ce ne sont pas les arbres qui cachent la forêt, mais des séquoias. Bien singulier est en effet le tracas d'un cinéaste dont la filmographie est semée d'une collection d'œuvres si puissantes qu'une seule aurait suffi à l'inscrire au Panthéon du 7e art. Signer la trilogie du Parrain, voire les deux premiers, voire la première époque uniquement, l'aurait déjà consacré entre Lean et Leone ; Conversation Secrète en aurait fait un frère de Jerry Schatzberg, John Schlesinger, Arthur Penn, Alan J. Pakula ou Mike Nichols. Quant à Apocalypse Now, il l'autorisait à parler d'égal à égal avec Kubrick. Mais en-dehors de ces films-monstres, si splendidement dissemblables les uns des autres, Francis Ford Coppola a tourné de nombreux autres longs métrages d'importance, privés parfois de notoriété, de succès et/ou de postérité. Si certains furent imposés par des nécessités financières impérieuses, cela ne les empêchaient pas d'être impérieusement composés : comme si la contrainte de commande aiguisait la créativité du cinéaste et l'incitait à mettre davantage de lui-même pour compenser le carcan posé par les studios ou les producteurs. Le Parrain (1972) en témoigne : Coppola s'approprie totalement ce sujet proposé par la Paramount, l'irrigue de références italo-américaines personnelles, incorpore la tarentelle de mariage rythmant celui des Gens de la pluie (1969), invite son propre père Carmine à composer la musique aux côtés de Nino Rota et sa sœur Talia Shire à jouer la fille de Don Corleone… La famille avant tout, et le respect d'une certaine tradition comme mantra.

C'est Francis qui commande

À cette lumière, le film le plus métaphoriquement autobiographique de Coppola est sans nul doute Tucker, l'homme et son rêve (1988). Porté par un Jeff Bridges solaire, ce portrait de l'ingénieur-designer de voitures Preston Tucker est celui d'un indépendant révolutionnaire se heurtant à l'immobilisme des tenants de l'industrie, dont la collusion avec l'exécutif précipitera la perte. Comment ne pas voir de manifeste pro domo dans la croisade de ce visionnaire flamboyant épris de beauté et de vitesse ? Alors laminé par les échecs financiers — en particulier celui de Coup de cœur (1982), pharaonique expérience technologique au service d'une romance musicale intimiste supportée par son seul studio American Zoetrope — Coppola, qui a contribué à créer le Nouvel Hollywood à la fin des sixties, se trouve ravalé au rang de mercenaire de luxe pour les vieux studios et quelques vieux camarades, tel Georges Lucas. Loin de démériter, son abondante production durant les années quatre-vingt constitue une réponse artistique majeure à la tentative d'asservissement. On le sait depuis le tournage d'Apocalypse Now : chez Coppola, l'obstination est une qualité redoutable, parfois dangereuse.

Lumière après l'éclipse

Voilà pourquoi il aurait été imprudent de croire en une éclipse définitive lorsqu'il décida de ralentir son rythme à la fin du XXe siècle. Dix ans après le classique L'idéaliste (1997), Coppola surprend tout le monde en revenant avec une œuvre métaphysique, L'Homme sans âge (2007) compromis fascinant entre la fresque historique, le conte faustien et le questionnement structuraliste à travers l'origine du langage — une sorte de lointain cousin de Au-delà du réel (1980) de Ken Russell. Il fait aussi la preuve qu'un cinéaste presque septuagénaire peut, à l'instar de son personnage, renaître et entamer une nouvelle carrière, débarrassé des contraintes externes. La suite le confirme : Tetro (2009) s'impose comme un désir de forme, une envie de triturer la composante plastique et narrative du cinéma tout en parlant de création, de famille, de transmission dans une famille de créateurs. L'histoire Coppola n'est pas finie puisqu'elle se prolonge à travers Sofia, Roman, Gia ou Nicolas Cage ; et celle de Francis se poursuit dans son futur Megalopolis que l'on espère voir l'an prochain. Après le Prix Lumière, quoi qu'il en soit…

Conversation secrète
À Saint-Genis-Laval le mercredi 16 à 20h et au Lumière Terreaux le dimanche 20 à 14h30

Tucker : L'homme et son rêve 
À Francheville le mercredi 16 à 20h30, à Pierre-Bénite le jeudi 17 à 20h, au Cinéma Opéra le vendredi 18 à 14h30 et au Pathé Bellecour le samedi 19 à 17h

Les Gens de la pluie  
Au Lumière Fourmi le vendredi 18 à 20h15

L'Homme sans âge
Au Comœdia le samedi 19 à 20h45

Tetro 
À Tassin la Demi-Lune le jeudi 17 à 20h30, au Comœdia le samedi 19 à 11h15

Masterclass Coppola
Au Théâtre des 
Célestins le vendredi 18 à 15h

Remise du prix lumière 
À l'Amphi3000 le vendredi 18 en soirée
suivie de la projection de Conversation secrète

Nuit du Parrain
À la Halle Tony-Garnier le samedi 19 à 20h30 

Apocalypse Now Final Cut 
À la Halle Tony Garnier le dimanche 20 à 15h


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