Eaux profondes

Après l'avoir créé en début d'année au CDN de Valence, Éric Massé et Angélique Clairand amènent De l'Ève à l'eau sur les planches du Théâtre du Point du Jour : un spectacle très personnel qui ne convainc pas.


En français, en anglais, en ch'ti, en wolof, en parlange et même en langue des signes (le 12 novembre), De l'Ève à l'eau est un retour aux origines pour les auteurs, metteurs en scène et acteurs Angélique Clairand et Éric Massé qui se souviennent ainsi « d'où ils viennent » : d'une campagne française, d'où subsiste ce patois local qu'est le parlange dans lequel Ève signifie "eau". Via la figure d'une ancienne agricultrice, en prise à la démence et à des crises de coprolalie, c'est toute la paysannerie malmenée par les pouvoirs publics qui se trouve sur ce plateau, scénographié par Johnny Lebigot qui est allé chercher l'inspiration dans les fermes désormais abandonnées où a grandi le duo de concepteurs du spectacle : l'intime de la chambre au-dedans, la pagaille de la grange au-dehors. Mais cette trame du retour aux origines est envahie et déviée par des artifices inutiles voire dérangeants.

Marais poitevin

Ainsi dans ce qui est présenté comme une introduction, Éric Massé, en allant du fond de la salle vers la scène et après avoir fait part des odeurs de la campagne et du fait qu'on y déféquait beaucoup, invective le public en commentant son travail : « vous ne vous attendiez pas à un spectacle scatologique ?! » Et d'ajouter : « quand il y a un gros tas de fumier, le paysage est riche ! Comme au théâtre, la merde et le succès sont très liés ».

Inévitablement ces diatribes entravent la narration trop éclatée – l'histoire personnelle de chacun d'eux, le volet sociologique et médical avec un neuro-psychologue et une primo-agricultrice auxquels s'est joint un infirmier sénégalais. Ce dernier se livrera à une séance de désenvoûtement de la ferme, problématique tant s'alignent les clichés sur l'africanité alors que dans toutes les actions pédagogiques menées par les deux directeurs, le désenclavement est au cœur des préoccupations.

Cette multiplicité des récits mène à ces raccourcis dommageables. Les clins d'œils appuyés au parcours des créateurs (la mère malade parle des "lumas" qui est le nom poitevin de la compagnie d'Angélique Clairand et Éric Massé, fondée en 2000 ; Les Bonnes de Genet sont citées par le médecin : Massé a monté précédemment ce texte) encombrent définitivement ce spectacle dont la sincérité du propos est indéniable mais la résolution au plateau illustrative.

De l'Ève à l'eau
Au Théâtre du Point du Jour du mardi 5 au jeudi 14 novembre


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