Sans toit ni loi

Attendu depuis sept ans, l'Eicher nouveau est arrivé, collection de chansons trop longtemps restées sans abri, que le Suisse vient présenter sur scène accompagné d'un ensemble à cordes.


C'est un art que de savoir cultiver l'absence. Ces sept dernières années sans disque, Stephan Eicher les a comblées en faisant offrande de sa personne en une sorte de geste contre-voulzyenne.

Rendu à l'impossibilité de donner un successeur à L'Envolée (2012), par quelque imbroglio avec sa maison de disques ayant viré à la querelle d'apothicaires, le Suisse a occupé le terrain de l'absence en vagabondant de scène en scène, tentant d'y d'épuiser les possibilités de revisite live de ses chansons : ici une formule à automates, là un orchestre balkanique et une beatboxeuse (expérience qui verra quand même naître un album d'auto-reprises fanfare-onnes baptisé Hüh).

Rangé des querelles contractuelles, voici enfin que le barde bernois réussit le prodige de reparaître sans donc jamais avoir disparu. Le single Si tu veux (que je chante), caressé de cordes sensibles, nous avait mis sur la voix de ces Homeless songs.

Voyager en paix

Cet album dont il porte certains morceaux depuis des années d'empêchement, Stephan Eicher confie en avoir enregistré une version rentre-dans-lard pleine de colère. Avant de se raviser et de livrer un disque tout en douceur, en parfait contraste avec l'amertume distillée par des textes toujours aussi subtils – signés respectivement par ses deux alter-ego littéraires Philippe Djian pour le français, et Martin Suter pour le bernois.

Car d'une certaine manière ces chansons restées trop longtemps sans abri portent en elles – de façon subliminale ou plus directe – la trace du pénible pas de deux livré avec les requins édentés du music business : Si tu veux (que je chante), Homeless Song, Prisonnière, Je n'attendrai pas ou Monsieur – Je ne sais pas trop, toujours suffisamment habiles pour avancer masquées en chansons d'amours déçues.

Comme un pied de nez supplémentaire à la dictature du produit fini, le chanteur fait également exploser les formes et les formats standards du commerce musical, que l'expérience l'a conduit à exécrer.

Et l'abri que leur fait cet album, loin d'être un carcan, de permettre à ses chansons de se faire haïkus sous la minute (le laconique Broken, possible allégorie des terribles problèmes de dos qui le frappent depuis de longs mois) ou d'étaler leur douce langueur blessée hors de l'embarras du gabarit radio-édité ou du refrain obligé. Ici pas de tubes (encore qu'au fil des écoutes...), juste des symphonies de poche pour voyager loin. Voyager en paix.

Stephan Eicher
Au Radiant-Bellevue le jeudi 28 novembre


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