Lo(u)ve actually

Folkeuse au timbre sensible, Alma Forrer s'émancipe en louve pop sur L'Année du loup, disque au romantisme entreprenant qui ferait rimer "amour" avec "à mort", "adoration" avec "dévoration".


On a découvert l'existence, et instantanément le talent, d'Alma Forrer à force d'user le Peut-être que nous serions heureux d'un Baptiste W. Hamon, ce Townes Van Zandt français, la conviant au pas de deux. Là explosait l'évidence des plus vibrants duos country-folk : Porter Wagoner et Dolly Parton, Bob Dylan et Joan Baez et toutes les roucouleries mixtes jonchant la carrière de Bonnie "Prince" Billy.

On pensait d'autant plus Alma, qui se réclame de la figure tutélaire de la Baez, confinée à un registre folk que ni Bobby, premier single publié en 2015, ni le mini-album Ne dis rien où figurait un autre duo avec Baptiste W. Hamon, ne venaient nous démentir. Encore moins ce vibrato inconsolé — et pour tout dire déchirant sur un titre comme La forêt nous protège — qui, à la manière de son double orphique à moustache, enjambait l'océan allers-retours, de Joan Baez en Barbara, de Marie Laforêt en Judy Collins, de Buffy Sainte-Marie en Françoise Hardy.

Mais si sur Soleil, Soleil Bleu Hamon entrebaillait la porte à des visions plus pop, Alma ouvre tout en grand pour repeindre le ciel sur L'année du loup. Où son folk farouche s'attife de sonorités disco-pop autrement entreprenantes (Conquistadors, redoutable tube pour petits matins chavirés).

Si t'as un coeur...

On pourrait déplorer la tentation de la formule ces temps-ci gagnante qui voit triompher diversement des Cléa Vincent ou Clara Luciani (L'année du loup, autre scie crypto-80's pour raid amoureux en Macumba revisité) ou dessine un fantasme adjanien (Songe d'une nuit d'été, son Pull marine).

Mais ce serait passer à côté de l'essentiel : dans cette grâce charnelle couvée dans la matrice glacée des machines (N'être que l'hiver, aussi pétri de désir que son titre ne l'indique pas et qui d'entrée annonce la couleur : chaude), on trouve une démarche aux contours lynchiens semblable à celle d'une Lana Del Rey — elle-même d'extraction country-redneck avant floraison en chimère pop.

Cette sève-là on la récolte sans avoir à beaucoup gratter l'écorce de titres comme Tout n'est pas perdu, La raison de mon retard, Relève-toi et surtout Je suis, fascinant talk-over new wave en descente d'élégie façon The Lamb de John Tavener/William Blake.

De Joan à Lana, il y a un monde que cartographie cette voix à l'innocence prédatrice, grande amoureuse qui, au coin d'un refrain, prévient : « si t'as un cœur, mon ange, sers-t'en ou je le mange ». Se méfier d'Alma Forrer, à trop chercher l'agneau : on pourrait voir le loup.

Alma Forrer
A À Thou Bout d'Chant le jeudi 19 décembre


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