Patricia Petibon : « le récital, espace de liberté »

Fougueuse soprano colorature, Patricia Petibon a incarné nombre de grands rôles à l'opéra, baroques, classiques ou modernes. Parallèlement, elle fait bouger les lignes de la musique savante dans des récitals très personnels au répertoire osé.


Comment est né votre nouveau projet L'amour, la mort, la mer, à la fois récital et album qui sortira en février ?
Patricia Petibon : C'est un projet un peu improvisé qui a été enregistré assez vite, avec la complicité de mon amie pianiste Susan Manoff. J'aime ces moments où la vie se déchaîne pour la création, dans l'urgence, d'un tel projet. Sa thématique constitue pour moi une exploration de l'intime, un voyage d'Ulysse parmi les sentiments... Le titre est plutôt axé vers la mélancolie, et la musique affronte ici certains points obscurs de l'existence : la perte, le deuil, la séparation. Comment accueillir la perte ? Le chant par essence est lié à l'accueil de la perte, à l'acceptation de la métamorphose dans le temps, au passage de ce qui a été à ce qui n'est plus.

Qu'est-ce qui a guidé votre sélection de morceaux pour ce récital ? Avec une telle thématique vous avez dû avoir l'embarras du choix ?
En fait non, pas tant que ça, ce sont des choix qui se sont imposés à moi. Des choix sensibles et pas forcément académiques ni dans la réflexion de ce que devrait être la musique ou un récital. Ce sont des choix qui sont liés à des moments de vie et qui n'ont pas pour enjeu la belle voix lyrique un peu surannée. C'est un métissage de musiques populaires (argentines, irlandaises...), de musiques classiques françaises et espagnoles (Fauré, Poulenc), d'esprit Dada (Erik Satie), de compositeurs contemporains vivants... Il y a même la chanson Oh My Love de John Lennon, arrangée pour le récital par Laurent Levesque. Mais ce récital n'est pas une simple juxtaposition de morceaux, c'est un voyage personnel, une histoire qui se trame, un univers poétique qui peut toucher différentes générations.

Quels sont, pour vous, les désirs et les enjeux du récital par rapport à vos rôles à l'opéra ?
L'opéra est un art qui concentre tout, où l'on est encadré à la fois par un metteur en scène et un chef d'orchestre. On y ressent des forces physiques imposantes. Le récital, lui, est un espace personnel, plus artisanal, un lieu où tout est possible, dans des salles en général plus intimistes. On y est plus exposé, nu ou presque face au public. Je travaille dans le récital depuis vingt ans et j'y déploie ma personnalité et mes émotions, dans la rencontre avec un public qui n'est pas forcément un public de connaisseurs de musique classique. C'est toujours une expérience humaine où je tente à la fois de toucher les gens et de faire découvrir de nouveaux horizons musicaux.

Vous y prenez davantage de plaisir qu'à l'opéra ?
Non, c'est un plaisir différent. J'y aborde la scène plus simplement, ce qui ne signifie pas que c'est plus facile. Le récital demande beaucoup de concentration et de travail.

Pour moi, le récital est très important car il permet d'aborder le chant sous plusieurs formes. C'est un espace d'indépendance, de liberté, un endroit qui exige aussi d'oser !

C'est une manière de sortir de nos frontières habituelles et d'échapper à la routine, de prendre en compte que le monde bouge, change... Même la musique classique va changer, c'est obligé ! Pour qu'il puisse se transmettre, rester vivant, le passé doit se métamorphoser dans le présent. Et le chant, la musique, sont des choses vivantes par excellence. L'enjeu c'est de s'accorder avec son époque, le présent, tout en lui opposant aussi, quand il le faut, des formes de résistance.

Vous travaillez beaucoup avec des contemporains ?
Oui, c'est important pour moi de travailler avec des compositeurs vivants, comme Nicolas Bacri ou Thierry Escaich. Après les Noces de Figaro à Aix-en-Provence, je travaille actuellement à nouveau avec le metteur en scène Richard Brunel (nommé récemment directeur de l'Opéra de Lyon) et le compositeur belge Philippe Boesmans pour On purge bébé, opéra qui sera créé au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. C'est une aventure très excitante avec un projet construit sur mesure, montrant une face très différente de l'opéra habituellement plus sombre, où j'ai pu endosser des rôles mortifères. Ce contraste des rôles me plaît beaucoup, et, là, j'incarne une étonnante ménagère qui s'occupe de son fils.

On grandit toujours en travaillant avec de grands metteurs en scène (Olivier Py, Richard Brunel...). On n'existe pas sans les autres, surtout à l'opéra qui est un très gros collectif, où chaque intervenant a un rôle essentiel.

Patricia Petibon, récital L'amour, la mort, la mer 
À la Salle Molière le mardi 28 janvier


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